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la forme dissimulait le vide des idées, et le socialiste ne valait que par l’homme de lettres. Nul écrivais mieux que Louis Blanc n’a exploité ce genre de littérature qui, s’appliquant à un sujet vieux comme le monde, n’a produit que des œuvres stériles.

Ce qui distingue les écrits de Louis Blanc, et ce qui peut-être les a fait passer de mode dans les régions démocratiques, c’est qu’ils ont les allures d’une prédication en s’inspirant de la tradition chrétienne. Oui, les socialistes de 1848 invoquaient à tout propos Dieu et l’évangile ; ils récitaient volontiers des sermons ou des homélies, et ils rédigeaient des catéchismes. « Qu’est-ce que le socialisme ? — C’est l’évangile en action. » Voilà comment débute le Catéchisme de Louis Blanc. Puis, défilent l’apôtre saint Paul, « la doctrine du Christ, les lois immortelles de l’évangile, » et, comme finale, pour expliquer comment les socialistes modernes sont calomniés, persécutés, honnis, le catéchisme rappelle l’exemple « du Christ, le sublime maître des socialistes, mort sur une croix entre deux voleurs. » — À la même date (1850), Pierre Leroux proclamait que les socialistes, « disciples du Christ, suivaient les principes du christianisme. » En ce temps-là, les socialistes se montraient animés d’une pensée religieuse, ils faisaient appel à Dieu, ou tout au moins à la Providence, ils avaient la foi, ils parlaient en apôtres. Cette littérature a singulièrement vieilli, nos socialisées modernes n’en veulent plus. Il ne reste de Louis Blanc qu’un souvenir qui devient de plus en plus vague, et une formule dont ses successeurs ont à la fois élargi et dénaturé les termes : « l’émancipation des travailleurs par l’association. »

En 1848, au milieu du désordre créé par la révolution, Louis Blanc prêchait dans le désert du travail. Le chômage était presque général, surtout à Paris et dans les villes manufacturières. Les excitations parties de la tribune du Luxembourg avaient pu faire naître quelques associations dont les statuts rédigés dans les clubs proclamaient l’émancipation des travailleurs ; mais le travail manquait, et les ouvriers inoccupés durent, en attendant l’inauguration chaque jour reculée de l’atelier social, recourir au salaire dérisoire eu plutôt à l’aumône que leur procuraient les ateliers nationaux. Ce fut une triste période dans l’histoire de la révolution de 1848 ; on sait qu’elle aboutit aux journées de juin, c’est-à-dire à la révolte des déceptions, du désespoir et de la faim. Dès le 25 février, d’ans l’une de ses premières proclamations, le gouvernement provisoire s’était engagé « à garantir l’existence de l’ouvrier par le travail, à garantir du travail à tous les citoyens. » Il avait reconnu que « les ouvriers doivent s’associer entre eux afin de jouir du bénéfice légitime de leur travail, » et, pour tenir ces téméraires engagemens,