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Une seule volonté s’y refusa, assez énergique et assez impérieuse pour tout empêcher. Je n’ai pas besoin de dire laquelle. Aux yeux de Marie-Thérèse, cette lutte, qui lassait tout le monde, ses ennemis comme ses alliés, ne faisait que commencer et ne devait être terminée que le jour où la guerre lui aurait rendu tout ce qu’elle lui avait coûté. Cette âme inflexible, oubliant les périls auxquels elle venait d’échapper si merveilleusement, n’était sensible qu’au souvenir, presque au remords des sacrifices qu’elle avait dû faire pour les conjurer. Les dérogations qu’elle avait laissé apporter au droit qui faisait sa force lui semblaient autant de faiblesses qu’en conscience, avant de poser les armes, elle était tenue de réparer.

Dans cette pensée, voici quel était le terrain où elle se plaçait et dont aucune insistance diplomatique ne put la décider à se départir. Elle repoussait comme une sorte de sacrilège toute proposition de paix qui lui paraîtrait consacrer d’une manière définitive la perte de la dignité impériale pour la maison d’Autriche et l’aliénation d’une partie notable de son patrimoine : ces deux points lui tenaient également au cœur ; et tout au plus se résignait-elle à admettre, pour l’un, un ajournement, et, pour l’autre, une compensation. L’empereur, étant déjà âgé, et, par ses infirmités, plus vieux que son âge, à la rigueur, elle pouvait consentir à lui laisser terminer péniblement ses derniers jours sur le trône, mais sous l’expresse condition qu’une nouvelle diète électorale immédiatement réunie et où la reine légitime de Bohême ferait cette fois entendre sa voix, déférerait au grand-duc son époux, avec le titre de roi des Romains, l’assurance de la succession. Puis, en échange de la Silésie perdue, il lui fallait obtenir quelque part, aux dépens de ses adversaires, un dédommagement territorial équivalent. En attendant qu’on l’eût trouvé, la Bavière, dont les armées autrichiennes possédaient encore une partie et dont elle espérait pouvoir, par un léger effort, reconquérir la totalité, était un gage qu’elle ne voulait pas lâcher. Si Charles tenait à recouvrer son bien, il n’avait qu’un moyen de se rendre digne de cette restitution : c’était de s’associer avec elle pour enlever à la France les portions autrefois détachées de l’empire : l’Alsace, violemment ravie par Louis XIV, la Lorraine obtenue par Louis XV en vue d’un engagement qu’il n’avait pas tenu. Dans le partage des dépouilles, on pourrait s’entendre, et chacun trouverait à se contenter. Mais, pour avoir droit aux fruits de la victoire, il fallait prendre part à la lutte, et la neutralité seule ne suffisait pas ; une hostilité déclarée contre la France, une entrée immédiate en campagne contre l’étranger, c’étaient les témoignages que Charles VII devait à l’Allemagne de sa bonne foi et de son repentir.