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Le roi une fois remis à la tête de son gouvernemental ne restait plus qu’une chose à faire : c’était de le remettre aussi à la tête de son armée. Mais c’est à quoi il n’y avait pas moyen de songer tant que la guerre se poursuivait sur un théâtre lointain) où l’on n’aurait pu, sans péril pour l’état, aventurer la personne royale. Le plus pressé était donc de quitter sans délai l’Allemagne.

Sur ce point, les nouveaux conseillers du monarque avaient la bonne fortune de se rencontrer avec l’opinion unanime de leurs concitoyens. Évacuer cette terre de malheur, où, depuis deux années, bataillons sur bataillons semblaient s’engouffrer pour fondre dans les boues et dans les neiges, revenir attendre l’Autrichien ou chercher l’Anglais soit sur ces bords du Rhin, soit dans ces plaines de Flandres, illustrées par le souvenir de tant de victoires, c’était le cri général dont l’écho était sans cesse renvoyé de l’armée à la cour. — « Quand donc reviendrez-vous ? » écrivaient les familles impatientes aux officiers gémissant dans tous les postes de l’armée de Bavière : — « Quand nous rappellerez-vous ? » répondait-on par le retour des courriers. — « Il y a peu de gens ici, écrivait Chambrier, qui ne croient que la France serait en meilleure situation si elle rappelait ses troupes d’Allemagne pour se retirer sur ses frontières. Ils sont presque tous de l’opinion qu’ils sont invincibles quand ils sont chez eux, et le désir qu’ils ont d’y être leur rend encore la chose plus croyable. » — « Il se répand ici, disait-il encore, une déplaisance contre la guerre en Allemagne qui ne fait que croître et embellir à mesure que les officiers qui en viennent se communiquent les uns aux autres. »

Le sentiment à cet égard était si vif dans toutes les classes, que, dans le courant du mois de mars, le comte de Saxe étant venu à Paris, envoyé de Bavière par le maréchal de Broglie, le bruit se répandit qu’il venait demander formellement le rappel de l’armée, et cette opinion contribua beaucoup à l’accueil triomphal qui lui fut fait dans tous les lieux publics, y compris les coulisses des théâtres, où il avait laissé tant de souvenirs. La croyance n’était pas fondée, Maurice n’en demandait pas tant, il venait seulement avertir, de la part du maréchal, que la retraite serait nécessaire si on n’envoyait pas de nouveaux renforts à ses troupes épuisées. Mais la manière dont il sollicita cet envoi, le peu d’insistance qu’il y mit, firent assez voir que, pas plus lui que le chef dont il était l’ami et le confident, ne mettaient beaucoup de prix à l’obtenir[1].

  1. Chambrier à Frédéric, 22, 25 février, 2 avril 1742. (Ministère des affaires étrangères.) — Revue rétrospective, t. V, p. 241. — Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 417, 426. — Journal de Barbier, t. II, p. 358.