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ce spectacle touchant et en exprima tout haut sa compassion. Était-ce de pitié seulement qu’il était ému, ou s’y mêlait-il déjà quelque souvenir de la beauté inconnue qui avait frappé ses regards et quelque désir caché de la revoir ? Quel que fût son sentiment, il ne manqua pas de gens pour lui indiquer un moyen tout naturel de le satisfaire.

La mort de Mme de Mazarin laissait vacante une place de dame du palais qui semblait toute préparée pour une des malheureuses abandonnées. A la vérité, la survivance était à peu près promise à des dames du plus haut rang, et, quand l’idée fut mise en avant, elle fut vivement combattue par Fleury, encore assez en vie pour prendre ombrage de tout ce qui ne venait pas de lui, et par Maurepas, brouillé avec ses cousines, qui l’accusaient d’avoir aggravé leur infortune. Mais toutes les convenances s’effacèrent et toutes les objections firent silence quand on sut qu’au moment de dresser la liste qui devait passer sous les yeux de la reine, le roi avait écrit en tête, de sa propre main, le nom de Mme de La Tournelle. On n’avait pas à craindre que cette préférence ouvrît les yeux ou blessât la fierté de la reine. La bonté de cœur, qualité dominante de la vertueuse princesse, la rendait charitable pour toutes les misères, et aveugle, peut-être même indulgente, pour bien des faiblesses. D’ailleurs, La Vallière et Montespan avaient bien fait partie ensemble de la maison de la vertueuse Thérèse d’Autriche ; les complaisances qu’une infante n’avait pas refusées à Louis XIV, Marie Leczinska n’était pas d’humeur à les disputer à Louis XV ; c’est beaucoup si elle ne savait pas gré à Mme de Mailly de n’avoir jamais abusé de sa situation pour lui manquer de respect dans son service[1].

Mais c’était Mme de Mailly elle-même, qui, laissée de côté avec une certaine affectation, aurait dû, si elle eût eu le moindre génie d’intrigue, se plaindre et s’inquiéter. Qui l’aurait cru ? ce fut le contraire, et rien n’égala la surprise générale quand on la vit, non-seulement ne témoigner aucune jalousie de la faveur qui appelait sa sœur de La Tournelle au palais, mais fournir elle-même à sa sœur de Flavacourt la facilité de l’y rejoindre en donnant la démission de sa propre place. Si ce fut Richelieu, comme on lui en fit honneur, qui la décida à ce sacrifice, jamais coup de partie ne fut plus habilement joué. La bonne âme se laissa persuader, a-t-on dit, que la

  1. Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 224 et suiv. — Mémoires de la duchesse de Brancas, p. 201 et suiv., — L’histoire de l’entrée de Mme de Flavacourt dans la cour de Versailles en chaise à porteurs est rapportée dans la compilation de Soulavie intitulée : Mémoires de Richelieu, qui mérite peu de foi. M. de Lescure, en en publiant une édition abrégée, s’est proposé de n’y laisser que les faits qui lui ont paru avérés. Je n’oserai dire qu’il y a réussi.