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cérémonies d’aventures galantes et d’en dresser protocole, c’est là un indice assez tristement remarquable des mœurs du temps pour mériter d’être signalé. Je suis d’ailleurs de ceux qui pensent que toute vérité historique, quand l’intérêt en est sérieux, doit être dite sans détour, et que le devoir est d’autant plus étroit pour l’historien qu’il lui en coûte davantage de le remplir. La vérité a toujours une utilité qui lui est propre. Je crois avoir montré, dans un récit précédent, ce qui restait de grandeur et d’héroïsme même dans le déclin de cette vieille monarchie française trop calomniée. Il est temps peut-être, en ne déguisant rien de ses fautes et de ses faiblesses, de justifier aussi la Providence, qui l’a si cruellement châtiée. C’est une leçon du passé dont l’avenir peut profiter.

La première opération à faire était d’amener à Versailles la beauté qu’on destinait à y régner : ce n’était pas la plus facile, car les logemens, à Versailles, étaient limités, leur distribution réglée par l’étiquette, et le rang peu élevé qu’avait occupé dans l’armée M. de La Tournelle ne permettait pas à sa veuve de prétendre à une telle distinction. Loin de là, elle vivait retirée, avec ses deux sœurs, chez leur tante, la duchesse de Mazarin, logées toutes trois un peu par charité, et se plaignant, même avec quelque aigreur, de ne participer que de loin, et faiblement, à la bonne fortune qui était échue à leur aînée. Reproche injuste, car Mme de Mailly, très discrète dans l’emploi d’une faveur dont elle rougissait, ne vivait elle-même que de ses appointemens de dame du palais et des dons irréguliers, et toujours modiques, du roi. Ce fut pourtant cet état de gêne, et presque de misère, que Richelieu mit à profit pour franchir le pas décisif ; car Mme de Mazarin étant venue à mourir et le ministre Maurepas, son héritier, ne paraissant pas disposé à continuer son hospitalité à ses parentes, les trois dames se virent menacées d’être, à la lettre, jetées sur le pavé. C’était la coutume de toute la noblesse de cour, dans ses embarras pécuniaires, de recourir, comme on disait, aux grâces du roi. De si intéressantes victimes de la mauvaise fortune n’y pouvaient manquer. Seulement, pour éviter des détours inutiles, on leur conseilla non de faire passer leur demande par l’intermédiaire de leur sœur (ce qui eût été naturel), mais de se jeter tout droit elles-mêmes aux pieds du roi et du cardinal. Ce ne fut pourtant pas Mme de La Tournelle (c’eût été trop tôt éveiller le soupçon), mais la seconde sœur, Mme de Flavacourt, qui se chargea de porter la supplique. On raconte que, pour la remettre, cette dame se fit conduire dans la cour de Versailles en chaise à porteurs et resta ainsi toute la journée, disant aux gens de sa connaissance qui venaient l’aborder qu’il fallait bien qu’elle s’habituât à vivre à la belle étoile, puisqu’elle n’avait plus de toit pour abriter sa tête. Le roi, averti et appelé à la fenêtre, vit de ses yeux