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nécessaire de chercher loin, car on n’avait pas épuisé les ressources qu’offrait la maison de Nesle : trois sœurs restaient encore, deux, Mmes de La Tournelle et de Flavacourt, mariées à des gentilshommes sans fortune, et la troisième attendant un établissement que la situation toujours gênée de la famille rendait difficile à trouver. Toutes trois étaient faites pour plaire ; la plus âgée, la marquise de La Tournelle, était la plus belle : une taille de nymphe, un teint éblouissant, des yeux d’un bleu plein d’éclat et de profondeur, formaient un ensemble de majesté et de séduction qui arrêtait les regards des plus indifférens. Ce charme avait frappé les yeux du roi, qui, la rencontrant par hasard chez le duc d’Antin, s’était écrié à demi-voix : « Ah ! mon Dieu ! qu’elle est belle ! » Richelieu, placé à côté de lui, avait noté cette impression au passage, pensant qu’il pourrait être à l’occasion utile, de la raviver, et plutôt diverti d’avance qu’arrêté par le scandale qui en pouvait sortir ; il crut bientôt le moment venu de s’en souvenir, surtout quand, ayant pris des informations, il put se convaincre que, sous cet extérieur séduisant, Mme de La Tournelle cachait autant d’ambition que la pauvre Mailly avait de faiblesse, et que son cœur, pour parler comme une grande dame du temps, était haut comme les monts.

La révolution de palais, je devrais presque dire de sérail, qui allait substituer Mme de La Tournelle à Mme de Mailly dans la faveur du roi, a fait l’objet, dans les écrits contemporains, de tant de commentaires satiriques, et, par la suite, de tant de contes grivois, de tant de récits romanesques, enfin de tant de mémoires apocryphes qui ne diffèrent guère des romans et ne méritent pas plus de créance, qu’il serait impossible d’en tirer un récit exact, et le sujet n’étant guère attrayant en lui-même, je laisserais volontiers se démêler dans cette confusion les amateurs, si nombreux aujourd’hui, de commérages posthumes et de médisances rétrospectives ; mais, malheureusement pour la France et pour la mémoire de Louis XV, des faits de cette nature, trop nombreux dans tous les temps, ont exercé cette fois une action trop importante pour qu’il soit possible de les négliger.

Je me bornerai pourtant, au narré le plus bref, tiré des rapports les plus authentiques, ceux qui visent le moins au scandale, comme les correspondances inédites et la gazette semi-officielle du duc de Luynes. Si même dans des documens de cette espèce se trouvent encore des détails qu’on préférerait passer sous silence, le seul fait qu’ils s’y rencontrent sans paraître causer aucune surprise, — le fait, par exemple, qu’un courtisan à la fois dévot et discret comme Luynes, aussi scrupuleux sur les convenances que sur la morale, se croit obligé, à certains jours, de se faire lui-même le maître des