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perdre une popularité de faux brillant qui est arrivée jusqu’à nous. Ce type achevé de tous les travers et de toutes les insolences qui ont perdu l’aristocratie de l’ancien régime ; cet académicien par droit de naissance qui ne sut jamais l’orthographe ; ce héros, ce vétéran de débauche qui, en cheveux blancs, se faisait encore gloire de troubler la paix des humbles ménages ; ce guerrier dont la bravoure même a toujours un air de parade et dont les exploits conservent jusque sur le champ de bataille je ne sais quelle tournure d’opéra-comique ; ce conquérant qui a déshonoré la victoire par l’ostentation du pillage ; c’est lui, c’est vraiment lui qui figure parmi les correspondans préférés de Voltaire, entre les précurseurs des temps modernes et les réformateurs attitrés de la morale publique et sociale. Au fait, cette place pouvait lui être due en raison des services que lui et ceux qui lui ressemblèrent ont rendus à la révolution, dont ils ont été sans le savoir les instrumens les plus efficaces. — Bien qu’à la veille même de la chute de la monarchie Richelieu, averti par un trop juste pressentiment, se soit rejeté avec vivacité et même avec exagération dans les opinions les plus contraires au mouvement nouveau de la société, il n’en demeure pas moins le modèle de cette noblesse étourdie qui a couru elle-même au-devant de son sort en favorisant toutes les doctrines qui préparaient sa ruine pendant qu’elle étalait tous les désordres qui pouvaient la justifier. Ce sont eux, ce sont ces petits-maîtres revêtus d’un vernis, — Saint-Simon aurait dit d’une écorce de littérature et de philosophie, — qui ont semé des fleurs jusqu’aux bords mêmes du gouffre où l’antique monarchie allait s’engloutir et donné aux premiers actes de la plus sombre tragédie qui fut jamais toute la gaîté d’un divertissement de théâtre. Rien n’a plus contribué que leurs exemples à accréditer l’erreur fatale de toute une génération qui a cru sérieusement se préparer aux épreuves de la liberté par les caprices du libertinage et qui n’a réussi qu’à frayer la voie, par la licence des mœurs, à toutes les témérités de la pensée.

Mais, pour l’heure présente, la surface de la société étant encore tranquille et l’orage ne grondant que dans le lointain, Richelieu ne justifiait la prédilection de Voltaire que par un dédain affecté, non-seulement de tous les scrupules, mais aussi des croyances qui les inspirent : on citait de lui, à cet égard, des traits d’une hardiesse d’incrédulité encore rare à cette époque. Ainsi, on disait qu’envoyé à Vienne pour une ambassade de cérémonie où il avait plus brillé par son luxe et ses bonnes fortunes que par son habileté diplomatique, il s’était amusé à divertir la société en faisant publiquement des sortilèges pour évoquer l’apparition du diable, afin de constater son existence. Lui-même s’amusait aussi à raconter qu’un nécromancien avait prédit à l’illustre ministre dont il portait le nom que