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renseignemens que nous attendions d’eux. Bien mieux, ou bien pis ! ils n’ont pas même eu le soin d’en établir les dates, et de contrôler au moins les lettres de Flaubert par celles de George Sand. C’est ainsi qu’ils ont daté de 1867 une lettre de Flaubert qui répond mot pour mot à une lettre de George Sand datée de 1863 ; et ce n’est pas, comme on l’entend bien, le seul exemple de leur négligence et de leur incurie que nous pourrions donner. Nous en pourrions donner aussi de leur fâcheuse partialité. Quand on fait tant que d’imprimer les noms propres dans une correspondance, on les y imprime tous, et l’on ne fait pas exception pour « l’ami ***, » celui qui trouvait Don Quichotte ennuyeux et qui comparait l’auteur de Fanny à l’auteur de René. On ménage tout le monde ou on ne ménage personne, et cette règle doit être absolue.

Quoi qu’il en soit, puisque la correspondance est là, puisque, dès à présent, sur tant d’autres correspondances, elle a ce précieux avantage d’être vraiment un dialogue, et même, comme on va voir, sur plusieurs points, une discussion dans les règles, nous avons le droit d’y puiser ; et c’est ce que nous allons faire. Car elle a vraiment son intérêt. Volontairement ou involontairement, impuissance ou parti-pris, si l’épistolier y est au-dessous du médiocre, s’il n’a ni cette facilité, ni cette aisance, ni ce naturel, ni quelqu’une enfin que ce soit des qualités que l’on estime dans ce genre d’écrire ; et si, d’autre part, l’homme lui-même ne s’y montre nullement sous des traits propres à lui séduire ceux qui déjà n’aiment pas trop la nature de son talent, les théories de l’artiste y sont du moins curieuses à examiner. On les connaissait, sans doute, on pouvait déduire les unes de ses œuvres, et les autres, il les avait lui-même, selon son expression, « dégoisées dogmatiquement, » dans l’instructive préface qu’il a mise aux Dernières Chansons de son ami Louis Bouilhet. Mais, obligé qu’il est ici de sortir, comme on dit, toutes ses raisons, il s’y explique plus amplement qu’il ne l’avait fait nulle part ; et rien ne saurait être plus intéressant, — sur deux ou trois questions qui sont toujours actuelles, toujours pendantes, et toujours obscures, — que d’opposer les décisions de l’auteur de Valentine et du Marquis de Villemer à celles de l’auteur de l’Éducation sentimentale et de Madame Bovary.


Nous l’avons dit déjà plusieurs fois, et nous le disions ici même, au lendemain de la mort de Flaubert : avant tout, par-dessus tout, Flaubert fut un artiste, rien qu’un artiste, et de ces artistes chez qui deux ou trois facultés prédominantes, exclusives, absolues, tyranniques, rétrécissent, absorbent et finissent littéralement par annihiler toutes les autres. Il en est résulté que Flaubert n’a rien compris du monde et de la vie que ce qui pouvait, selon son mot, « profiter à sa consommation personnelle, » et que tout le reste a toujours été, à son égard, comme nul et non avenu. Cette grande haine elle-même de la bêtise humaine,