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bénissant le sort qui l’arrachait aux ennuis, aux misères de la politique courante et le rendait à ses livres et à ses pensées. Il avait à peine dix-neuf ans quand il écrivait à sa mère : « Ne comptons sur rien payons soin seulement que le sort nous trouve armés et préparons-nous des biens qu’on ne perd pas. Montesquieu a dit cette parole, qui doit être la règle perpétuelle de notre conduite si nous sentons que nous ne sommes pas faits comme tout le monde. « Le mérite console de tout. » C’est un livre que ce mot-là, c’est une vie tout entière. » Oui, vraiment, le mérite console de tout, même d’être battu dans une élection par M. Barodet.

Dans le temps où cette mère et ce fils échangeaient leurs réflexions en faisant assaut d’esprit et de bon sens, les troupes alliées occupaient encore Paris, et la situation de la France, en proie à des fureurs intestines, était aussi triste qu’alarmante. Elle n’avait, pour résister aux périlleux entraînemens d’une chambre affolée, qu’un ministère faible, timide, mal assis, et, comme le remarquait M. de Villèle, « quand des ministres ne sont pas forts, une chambre se laisse mener par ses plus mauvaises têtes. » C’était à peu près vers cette époque qu’une femme louche demandait à M. de Talleyrand comment allaient les affaires et qu’il répondait : « Comme vous voyez, madame. » Toutes les fois qu’on étudie l’histoire de la restauration, soit dans le beau livre de M. de Viel-Castel, soit dans des récits familiers et des documens anecdotiques, on se convainc que, si les Bourbons étaient rentrés douze ans plus tôt, la France nouvelle ne se serait sauvée qu’au prix d’une guerre civile, et on pardonne beaucoup de choses à Napoléon Ier parce que c’est lui qui a établi la nouvelle société sur des fondemens si solides que l’édifice construit par son génie a pu défier toutes les tempêtes. On se dit aussi que les partis font toujours le contraire de ce qu’ils veulent, que cette chambre introuvable qui aspirait à restaurer l’ancien régime a contribué malgré elle à créer la monarchie parlementaire, que ses perpétuelles irrévérences ont accoutumé le gouvernement royal à se laisser contrôler et discuter. Mais on se dit surtout que la France a traversé de bien lugubres défilés et qu’elle a su en sortir. Convertie à l’optimisme de son fils, Mme de Rémusat lui écrivait le 13 juin 1816 : « Que tout cela est embrouillé, mon enfant ! Et cependant j’ai la persuasion intime que d’utiles clartés sortiront de tout ce chaos. Laissons crier, et disons entre nous que la nation française sera quelque jour encore une belle nation. »

Étrange pays que la France ! on dirait parfois qu’elle s’applique à justifier toutes les craintes qu’on peut concevoir pour son avenir, et finalement elle donne toujours tort à ceux qui en désespèrent.


G. VALBERT.