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ce n’était pas faute de courtiser l’autorité. Un autre que lui pourrait tirer des vengeances assez malignes avec ces paperasses. » Pour extorquer les destitutions désirées, toute illégalité semblait bonne. M. de Rémusat s’en plaignait-il, on lui représentait qu’on ne pouvait travailler avec trop de zèle à la bonne cause, qu’il fallait tous mettre la main à la pâte, que la loi était faite pour les temps tranquilles. On demandait des épurations jusque dans le clergé, on accusait l’archevêque de ne pas nettoyer assez la vigne du Seigneur. Beaucoup de desservans étaient suspects de tiédeur ou d’hérésie. Plus tard, on chargea le moine de refaire l’éducation du curé, et ce fut alors que Paul-Louis s’écria : « Dieu nous livre au picpus. Ta volonté, Seigneur, soit faite en toute chose ! Mais qui l’eût dit à Austerlitz ? »

C’étaient d’étranges gens que les ultra-royalistes. S’ils faisaient peu de cas de la loi, ils tenaient peu de compte de leur roi, de ses volontés, de ses désirs, de ses vrais intérêts. Ils lui contestaient jusqu’au droit d’être clément, ils voulaient que leur maître fût l’humble et docile serviteur de leurs passions. Autant qu’il était en eux, ils diminuaient, ils ravalaient son autorité. A Paris, la chambre introuvable se mêlait de ce qui ne la regardait pas, empiétait sur le pouvoir exécutif, sur les prérogatives royales, se permettait de critiquer des choix, de dicter des nominations. En province, on tenait des propos cavaliers sur le souverain, on le traitait fort lestement, on lui marchandait son respect, son obéissance, on lui faisait ses conditions, on lui mettait le marché à la main : « Des conditions avec le roi ! s’écriait Mme de Rémusat. Les royalistes de cette trempe devraient prendre un autre nom ; la langue se trouve tellement faussée par l’esprit de parti qu’on unit par ne plus s’entendre. » Les ultras n’étaient que des ligueurs, des révolutionnaires retournés. La race n’en est pas morte. Aujourd’hui encore, ne voyons-nous pas de zélés monarchistes qui se réservent le bénéfice d’inventaire, qui disent résolument à leur souverain d’adoption : « Dis-moi si tu as mes opinions et je te dirai si tu es mon roi ! » — Il faut conclure de là que le royalisme est bien malade ; il l’était déjà en 1816.

Passe encore si le préfet de Toulouse n’avait eu affaire qu’aux vicomtes et aux marquis. Les marquises et les vicomtesses lui donnaient encore plus de tracas par l’âcreté de leur humeur, par la violence de leurs propos. En matière de haine, l’homme a des pudeurs que la femme ignore. Ses iniquités lui inspirent une confusion secrète qui le porte à les colorer, à sauver les apparences. La femme qu’une mouche a piquée se sent à l’aise dans l’injustice, elle y prend un plaisir extrême. Parmi les belles Toulousaines, il y avait des blondines qui demandaient des exécutions, des gibets ; plus d’une aimable dévote plaignait de tout son cœur l’assassin du général Lagarde. Quand on arrêta