Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/693

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Monsieur, avait ameuté contre elle toute la bourgeoisie par ses prétentions et sa morgue.

Ces vicomtesses marquis, dont la superbe se donnait carrière, causaient au préfet mille embarras, mille difficultés. S’avisait-il de leur battre froid, il se voyait recherché aussitôt par les ex-jacobins, qui cherchaient à le compromettre. Il fallait tenir à distance ces dangereux amis, leur prouver qu’on n’était pas de leur bord, et se défier de tout le monde, même des infidélités de la poste, « Dans un pays comme celui-ci il faut, ou tâcher de voir les deux partis, à quelque prix que ce soit, ou se renfermer absolument, comme si on avait la peste, et prendre la position attristante d’un préfet des cent jours. » La situation de M. de Rémusat était d’autant plus délicate que, durant de longues années, il avait servi l’empereur, « Je n’estime pas, disait La Bruyère, que l’homme soit capable de former un projet plus vain que de prétendre échapper à toute sorte de critique. » Le préfet de Toulouse aurait été le plus chimérique des administrateurs s’il s’était flatté de contenter personne, d’obtenir le plus mince éloge de qui que ce fût. Son équité témoignait de la tiédeur de son zèle, sa modération lui était imputée à lâcheté.

Dans quelque parti que nous nous enrôlions, c’est notre maladie à nous autres Français de ne pas compter assez avec l’histoire, de prétendre asservir la destinée à nos programmes. Les ultra-royalistes de 1815 se proposaient d’en finir d’un coup avec la France nouvelle. On avait raison de les appeler les jacobins blancs. Ils entendaient détruire l’œuvre de la révolution par les moyens mêmes qu’elle avait employés pour s’établir. Ils voulaient emprunter la terreur à la convention et l’arbitraire à Napoléon Ier. Ils attaquaient les institutions, ils conservaient les procédés. C’est ce qui faisait dire plus tard à Paul-Louis Courier que l’empire durait encore, que l’esprit de Bonaparte n’était pas à Sainte-Hélène, qu’il était en France dans les hautes classes. A leurs âpres et implacables rancunes les jacobins blancs joignaient de mystiques fureurs. Leurs haines s’appuyaient de Dieu, leurs appétits se réclamaient du droit divin, leurs blâmes étaient des anathèmes, leurs censures des excommunications. Ils partageaient les Français en bons et en mauvais sujets, en bien pensans et en mal pensans, en élus et en réprouvés. Les élus étaient les purs, ceux qui étaient plus royalistes que le roi Louis XVIII et maudissaient la charte comme une œuvre de Satan. Les réprouvés comprenaient les bonapartistes, les libéraux, les philosophes, les fédérés et ces pauvres paysans tout éperdus qui croyaient que l’empereur allait revenir de son île avec une armée de nègres à trois yeux, qu’il fallait se hâter de cacher les drapeaux blancs. Goethe prétendait qu’au dernier jour, le juge suprême, après avoir placé les boucs à sa gauche et les brebis à sa droite, dirait aux hommes de