Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/689

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
CORRESPONDANCE
D'UNE MERE ET DE SON FILS
PENDANT LES PREMIERES ANNEES DE LA RESTAURATION

Un homme d’esprit disait d’une femme à qui il en avait coûté de rester sage et qui s’était mise sur le tard à écrire des romans : « Sa littérature est une revanche qu’elle prend sur sa vertu. » Mme de Rémusat, que son petit-fils nous a fait si bien connaître en publiant successivement ses remarquables Mémoires et quatre volumes de sa Correspondance, n’avait point de regrets à tromper ni de revanche à prendre ; si elle aimait à écrire, c’est qu’on aime à faire ce qu’on fait bien. Quoiqu’elle eût connu le chagrin et les pesantes servitudes, on pouvait la ranger parmi les femmes heureuses. Dame du palais de l’impératrice Joséphine, honorée des attentions de l’empereur, elle avait payé cher la gloire d’approcher et d’intéresser un grand homme ; elle avait vécu dans les alertes, elle s’était sentie sous la coupe d’un maître peu commode, dont l’œil gris bleu lançait la foudre, et qui n’admettait pas qu’on eût du zèle quand on n’avait pas d’inquiétude. Plus tard, elle dut faire les honneurs d’une préfecture dans une ville où grondaient sans cesse des tempêtes, dans un temps où M. de Talleyrand affirmait que rien n’était plus difficile que le métier de préfet. Mais les ennuis, les dégoûts, les anxiétés ne lui causaient que de courtes défaillances ; elle avait le courage de la bonne humeur.

Cette femme fraîche et grasse, aux traits réguliers, mais un peu forts, aux yeux noirs comme ses cheveux, avait une physionomie sérieuse, presque imposante, et son fils disait d’elle qu’il ne