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tirent aujourd’hui l’alizarine, non de l’anthraquinone bromé, mais de l’anthraquinone sulfuré.

L’alizarine est maintenant, de toutes les matières colorantes tirées du goudron, celle qu’on fabrique en plus grande quantité. M. Würtz disait, dans son rapport de 1878 : « En Allemagne, huit usines, dont deux très importantes, sont en pleine activité. On en compte deux en Suisse, une en Angleterre, une en France, fondée par l’ancienne et honorable maison Thomas, à Avignon. MM. Thomas frères ont eu la bonne pensée et le courage d’établir une fabrique d’alizarine artificielle au centre même de ce comtat Venaissin, qui a été jusqu’ici le principal lieu de production de la garance. On peut évaluer à 3,500 kilogrammes la quantité d’alizarine artificielle produite journellement, et cette production a certainement augmenté depuis l’année dernière. »

L’anthracène, matière première de l’alizarine, est relativement abondant dans le goudron de houille. Il atteint quelquefois la proportion de 7 à 8 pour 100. On avait observé que plus un goudron est pauvre en toluène et plus il est riche en anthracène : ce fait a reçu une explication. M. Berthelot a montré que le toluène, décomposé par la chaleur, produit de l’anthracène. Suivant les réactions qui se seront effectuées dans la cornue de distillation, suivant les coups de feu ou les refroidissemens qui auront pu modifier le cours de ces réactions, le carbure léger se sera conservé ou bien le carbure lourd se sera accumulé.

Sans doute nous devons ajouter que ces différences dépendront aussi de la nature de la houille et de la matière première employée au point de départ de toutes ces opérations. Mais, nous l’avons dit, ce point de départ est à peu près inconnu. D’une matière noire et amorphe nous avons fait sortir des matières cristallisées et de toutes nuances : des rouges, des safrans, des verts, des violets, des bleus ; l’alizarine, la substance même qui teint les fleurs de garance, et cette merveilleuse aniline, incolore comme le rayon de lumière avant d’être analysé par un prisme et contenant en puissance, comme le rayon, toutes les couleurs de l’arc-en-ciel. Que savons-nous de la houille, origine de tant de merveilles et rebelle à toute analyse ? Rien, si ce n’est qu’elle a vécu.


DENYS COCHIN.