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incolore et d’odeur peu agréable. Ce corps, incolore et nauséabond, fournit pourtant des parfums et des teintures.

Charles Mansfield annonça, en 1847, qu’il trouvait dans les dérivés de la houille une huile qui pouvait tenir lieu de l’essence d’amandes amères. C’était la nitrobenzine. Avant lui, Mitscherlich, ayant versé par petites quantités la benzine dans l’acide nitrique, avait vu se produire une réaction très vive : les vapeurs rouges de l’acide hypoazotique s’étaient dégagées en abondance, — et le chimiste allemand avait recueilli un corps liquide, incolore, dans lequel il avait constaté qu’une molécule composée d’azote et d’oxygène s’était substituée à l’un des six atomes d’hydrogène de la benzine. Mais l’expérience de Mitscherlich n’était pas sortie des laboratoires et ne paraissait pas devoir être tentée dans les ateliers. La réaction était si vive qu’elle devenait dangereuse lorsqu’on opérait sur de grandes quantités. Si la benzine n’était pas pure, et surtout si elle contenait du phénol, des explosions avaient lieu. Enfin, la respiration continuelle des vapeurs nitreuses aurait été fatale à la santé des ouvriers. C’est cette expérience que Mansfield osa répéter dans ses ateliers et qu’il réussit à rendre industrielle. Son exemple fut suivi en France par MM. Pelouze et Collas.

La nitrobenzine ne saurait être pure si la benzine employée ne l’était pas, et la benzine du commerce l’est rarement. Dans le mélange de carbures qui forme l’huile de naphte, plusieurs sont fort voisins les uns des autres, par leur composition et par leur point d’ébullition. Malgré la perfection d’appareils distillatoires tels que celui de M. Coupier, il est difficile d’arrêter certains d’entre eux au passage. Le toluène, par exemple, carbure liquide et volatil comme la benzine, » l’accompagne presque toujours ; il est attaqué comme elle par l’acide nitrique et donne un nitrotoluène. On a trouvé aussi, joint à la nitrobenzine, un acide particulier coloré en jaune, et doué de l’odeur et du goût de l’ananas. Les éthers de cet acide ont le goût de fraise ou de framboise. Bien des sorbets et bien des pots de confitures ont été parfumés grâce à cette découverte.

La nitrobenzine, ainsi fabriquée, est livrée au commerce sous le nom d’essence de mirbane : c’est un nom de pure fantaisie. Elle est employée par les parfumeurs. Ce n’est pas l’essence d’amandes amères, — cette dernière peut aussi être obtenue artificiellement, — mais elle en tient lieu. Elle joue dans l’industrie moderne un rôle important depuis qu’elle sert à fabriquer l’aniline.

A mesure que l’œuvre de la synthèse avance et que du carbure primitif sortent des corps de plus en plus compliqués, la richesse du champ des recherches ouvert aux chercheurs paraît de plus en plus surprenante. Que de combinaisons peuvent s’effectuer et combien de milliers de corps restent à connaître !