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dit la dépêche anglaise à laquelle nous empruntons ce récit, il n’y eut qu’une voix pour déclarer que la paix, dans l’intérêt de l’Allemagne et de l’armée, devait être conclue moyennant l’échange des deux royaumes envahis. Procès-verbal de la délibération fut adressé à Vienne par le grand-duc, qui accompagna l’envoi d’une lettre à la fois d’explications et d’excuses, assurant la reine sa femme qu’il ne s’était déterminé à cette démarche que lorsqu’il était, jour et nuit, harcelé et tourmenté (teazed and tormented) par tous les officiers de l’armée, ensemble ou séparément.

La précaution était prudente. Non qu’à Vienne, dans le public, et même chez les fonctionnaires d’une certaine importance, le sentiment pacifique qui régnait dans l’armée ne fût partagé. On murmurait, au contraire, assez hautement que, les conditions offertes par la France étant raisonnables, la paix n’était plus retardée et les malheurs publics prolongés que, par l’obstination du grand-duc et de la reine à vouloir se parer de la couronne impériale[1]. Mais il n’en allait pas de même à la cour et partout où se faisait sentir l’action ardente et impérieuse de la volonté de Marie-Thérèse. Là tout respirait la guerre, et l’adresse des généraux de l’armée fut reçue avec un véritable accès d’indignation. Le ministre anglais, qui en fait le récit dans sa dépêche, est d’autant plus croyable qu’il recevait lui-même quelques éclats de cette colère, car la reine ne se gênait pas pour dire que les nouveaux embarras étaient dus aux lenteurs du gouvernement britannique, qui ne se pressait pas de lui tenir parole, et qu’elle n’aurait jamais laissé les Français passer si avant si elle n’avait cru qu’une armée anglaise allait se lever derrière eux. Le mal étant fait cependant, elle entendait bien y tenir tête ; l’armée allait apprendre enfin que ce n’était à elle ni à délibérer ni à négocier, mais bien à combattre et même à souffrir, s’il le fallait. Désormais toute négociation, tout pourparler engagé sous les armes était désavoué d’avance, quel que fût, ajoutait-elle, cette fois par une menace significative, « celui sur qui le blâme en retomberait. » Et ses ministres, enflammés par l’ardeur de la souveraine, déclaraient, eux aussi, que cette fois la reine leur maîtresse était décidée à être maîtresse tout de bon[2].

  1. Vincent à Amelot, 29 août, 15 septembre 1742. (Correspondance de Vienne. Ministère des affaires étrangères.)
  2. Robinson à Carteret, 7 septembre et 1er octobre 1742. — « It is for the army to fight, if necessary to persevere and suffer… The Hungarian Majesty frankly desclaims, disavows all those pernicious steps, let the blame fall where and upon it will… and the mistress are pleased to think themselves able to advise and counsel their mistress to be mistress. » Le mécontentement de la reine, comme on peut le voir par ces dépêches, avait devancé la démarche des généraux ; elle avait sévèrement blâmé l’entrevue demandée par Königseck à Belle-Isle avant la levée du siège de Prague. — D’Arneth, t. II, p. 120, 127.