Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/663

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

mort aurait commencé d’abord sous forme d’acide carbonique, puis dans ces gisemens que la terre recouvre, et que nous retrouvons après des siècles écoulés. Le Créateur n’aurait pas dit aux vivans : « Croissez et multipliez, » mais : « Diminuez et dépérissez. »

il y a donc des combinaisons minérales du carbone, mais la houille est composée de corps organiques. Il est impossible d’en douter, d’abord à cause des innombrables empreintes animales ou végétales qu’on rencontre dans la houille ; ensuite parce qu’on y trouve des combinaisons du carbone avec l’hydrogène qui ne se voient que dans les matières animales ou végétales.

Cette seconde raison serait-elle suffisante ? Il y a soixante ans, elle aurait semblé péremptoire à tous les chimistes. Berzelius enseignait que « dans la nature vivante, les élémens paraissent obéir à des lois tout autres que dans la nature inorganique. » Et Fourcroy avait écrit en 1800 les lignes suivantes : « Il n’y a que le tissu des végétaux vivans, il n’y a que leurs organes végétans qui puissent former les matières qu’on en extrait et qu’aucun instrument de l’art ne peut imiter. » Depuis lors, les instrumens de l’art se sont améliorés. Des synthèses organiques ont été opérées dans les laboratoires ; Wöhler a fabriqué de l’urée, et M. Berthelot a su rapprocher les élémens de l’acétylène, de l’acide formique, même de l’alcool.

Ces recherches hardies et ces découvertes imprévues émurent le monde savant. Elles émurent encore plus certains philosophes qui paraissent se tenir aux aguets autour des laboratoires, toujours prêts à échafauder une théorie de l’univers sur la dernière expérience du savant et à lui expliquer la portée de ses propres travaux. Si la matière organique se formait hors de l’être vivant par réaction chimique ; si la génération spontanée faisait apparaître dans cette matière des êtres animés, et si les descendans de ces êtres arrivaient par une lente évolution à acquérir les organes complexes des animaux supérieurs, il y aurait là bien plus de vérités expérimentales qu’il n’en faut pour servir de fondement à un raisonnement philosophique. Mais le transformisme n’est qu’une hypothèse ; la génération spontanée une chimère ; et quant à la synthèse, il ne faudrait pas se presser de tirer de quelques brillantes expériences une théorie générale. M. Béchamp a dit : « Il n’y a plus de matière organique, il n’y a que la matière minérale unie au carbone. » Nous sommes tentés de répondre : « Mais c’est précisément là ce qu’on appelait matière organique. » D’innombrables combinaisons du carbone avec l’hydrogène, l’oxygène et l’azote constituent les divers tissus animaux et végétaux et les produits qu’on en tire. De ces produits si variés, les artifices de synthèse ont réussi à reproduire un très petit nombre. Ce ne sont pas les plus complexes, les plus parfaits. Ce ne sont pas