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« Cher monsieur, j’étais sur le point de vous écrire lorsque j’ai reçu votre lettre. La nouvelle de la mort de notre cher et illustre ami nous a frappés, comme elle doit vous avoir étonné ! car elle est venue subitement, sans que beaucoup de ses amis sussent qu’il était tombé malade. Hegel a été malade à peu près deux jours. Il est tombé malade lundi 13 novembre, à cinq heures d’après-midi. Les deux médecins qui le traitaient ont répondu qu’il était mort du choléra ; mais c’est bien incertain, les symptômes qui accompagnent ordinairement cette maladie ayant tous manqué. Il est mort tranquillement, on peut même dire philosophiquement, travaillé et usé par une vie donnée tout à fait à des pensées qui vivront longtemps de toute la force de son esprit. Ses ennemis mêmes ont avoué que l’université de Berlin avait fait la plus grande perte qu’elle pût faire… Le nécrologue que j’ai fait de M. Hegel a été travaillé par les censeurs de la gazette d’état : je ne le reconnais plus moi-même. J’avais parlé de vous et de votre liaison ; tout a été rayé, et il n’est resté de tout ce que j’avais dit que votre nom, ajouté à d’autres qui n’ont jamais vu et connu M. Hegel : voilà comment on est imprimé dans ce pays. »


Après avoir résumé, à l’aide des pièces précédentes, l’histoire des relations personnelles de Cousin et du grand philosophe berlinois, nous sommes en mesure d’aborder directement l’étude de l’ouvrage où l’influence hégélienne s’est fait le plus profondément sentir.


III

Le cours de 1828 a été, comme on le sait, un événement dans l’histoire libérale de la France. On a si souvent rappelé le souvenir des trois grands professeurs, Guizot, Cousin, Villemain, qu’il est inutile d’y insister de nouveau. Signalons seulement le caractère de ce cours. Nommé à l’improviste à la fin de mars 1828, Cousin dut monter dans sa chaire le 15 avril, afin de ne pas laisser périmer son titre et son droit. Il n’eut devant lui que deux ou trois mois d’enseignement : point de temps pour commencer des études nouvelles. Il dut improviser un cours. Avec quoi ? Avec les idées générales qu’il remuait dans sa tête depuis plusieurs années et que son séjour à Berlin en 1824, les conversations d’Hegel en 1827 avaient ravivées et fécondées. Cela explique à la fois ce qu’il y a de brillant et d’enflammé dans le cours de 1828, et aussi ce qu’il peut y avoir de vague, d’arbitraire, de risqué dans des conceptions qui ressemblent plus quelquefois à des fusées de conversations qu’à des théories profondément mûries.

Arrivons à l’œuvre elle-même. Elle se compose de deux parties. Les six premières leçons contiennent une métaphysique ; les sept