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furieusement de vous, mais j’aime mieux me mortifier que de vous voir tristement… Avec cela je vous embrasse, vous envoie et souhaite la bénédiction divine, et prierai bien pour vous : lui peut tout ; j’ai tout plein de courage, il ne nous abandonnera point, il nous a trop clairement aidés : je suis tout cœur ; je vous prie de ne point vous abattre non plus : jusqu’à cette heure tout est bien allé… À vous une fois et pour toujours. — TERESE. » Et en post-scriptum : « Je n’ose penser à mon Mimi. » (c’était la princesse nouvellement née que la reine, depuis sa dernière couche, avait eu à peine le temps de présenter à son père)[1].

Toutes les forces des deux parties belligérantes se trouvèrent ainsi vers la fin de septembre en présence l’une de l’autre, sur deux lignes très rapprochées et, comme dit une dépêche anglaise, en quelque sorte bec à bec. La jonction de Saxe et de Maillebois s’opéra entre Aniberg et Égra sur les confins du Haut-Palatinat et de la Bohême ; celle de Khevenhüller et du grand-duc autour de Pilzen même en Bohême et de l’autre côté de la frontière. Les deux quartiers généraux n’étaient séparés que par une dizaine de lieues d’un territoire très montagneux, coupé de gorges abruptes et d’étroites vallées, au fond desquelles leurs éclaireurs ou leurs partis avancés pouvaient se rencontrer journellement. Un combat sanglant et douteux ne pouvait manquer de s’engager si Maillebois voulait à tout hasard poursuivre sa marche vers Prague en ligne directe.

Il y eut alors, dans les deux armées, ce qui arrive souvent dans les momens solennels, un temps d’arrêt causé par une intimidation réciproque, qui ne dura pas moins de plusieurs semaines. Des deux parts, des conseils de prudence, de faiblesse même, se faisaient entendre. Dans le camp autrichien, le grand-duc, peu entreprenant de sa nature, fatigué d’ailleurs et malade d’un dérangement d’estomac, et le maréchal Königseck, dont l’âge accroissait l’irrésolution naturelle, commencèrent, sinon à dire eux-mêmes, au moins à se laisser dire tout haut par leur entourage ce qui était au fond de leur pensée depuis le commencement du siège : à savoir qu’il n’était guère raisonnable de remettre en question tous les succès obtenus quand la France elle-même s’offrait à les compléter et à les consacrer, et se montrait prête à évacuer le sol de l’Allemagne sous une condition aussi modérée qu’avantageuse : la restitution réciproque et simultanée de la Bavière et de la Bohême. Le

  1. Mémorandum de la reine de Hongrie adressé au gouvernement anglais, 21 novembre 1742. (Correspondance de Vienne. Record Office.) — Le comte de Saxe au maréchal de Breteuil, 20, 25 août 1742. — L’empereur au maréchal de Maillebois, 13 septembre 1742. (Correspondances diverses. Ministère de la guerre.) — D’Arneth, t. II, p. 490, 491.