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librairie, si j’en crois surtout les poupées qui participent aux leçons et ne les troublent par aucune incartade. Les petites filles que j’ai vues là viennent de Paris ; les unes ont passé par le cabinet de consultation de la rue de Maubeuge, d’autres ont été amenées par des sœurs de charité ; quelques-unes ont été prises à des familles qui les ont confiées sans déplaisir à des mains charitables, Ces fillettes ne ressemblent en rien aux larves humaines qui rampent chez les frères de Saint-Jean de Dieu, mais on croirait qu’elles ont été trempées dans des couleurs trop pâles ; elles ont une blancheur inquiétante, comme si du lait remplissait leurs veines. Chez plusieurs d’entre elles les scrofules sont déjà visibles ; à l’une on a enlevé deux des os métatarsiens ; une autre est sourde, une troisième a les narines sanguinolentes ; une quatrième est déformée ; elle est de travers, avec les épaules trop larges, le dos convexe ; elle devine que l’on parle de lui mettre un corset de fer, elle devient rouge et se redresse avec colère.

J’ai avisé une petite fille de douze ans, de regard timide, avec des cheveux bruns d’une souplesse exquise ; arrivée depuis trois jours, elle semblait dépaysée et hantée par des regrets qu’elle ne pouvait vaincre. Elle ourlait un mouchoir. J’ai été étonné de la précision, « de la maturité » de son travail. Je l’ai interrogée : « Que faisais-tu avant de venir ici ? — J’étais dans la chemiserie ; je faisais une chemise par jour. — Te payait-on bien ? — Je ne sais pas ; on me donnait vingt sous par mois. » — Il y a des pères ingénieux. Elle souffre des entrailles, elle ne peut courir et marche avec peine. Elle est issue d’une mère phtisique, qui est morte ; elle est atteinte d’atrophie mésentérique : autrement dit, elle a le carreau. L’hérédité fait son œuvre ; la tuberculose qui a tué la mère s’est emparée de la fille ; avant peu, l’une et l’autre seront réunies.

Pour ces enfans, l’asile est, avant tout, une infirmerie, mais c’est aussi une école. Une institutrice fait la classe à cette marmaille débile, qui apprend à former les lettres et sait déjà lire. J’imagine que le temps d’étude n’est jamais prolongé et que l’on sait à Villepinte ce que l’on veut ignorer ailleurs, c’est-à-dire que l’attention de l’enfant, et surtout de l’enfant chétif, ne peut se fixer que pendant un temps très limité sur le même objet. Après une demi-heure de travail au plus, il faut chanter, danser, cabrioler et renouveler, par un exercice un peu violent, la faculté de prêter l’oreille à une leçon, ce qui, chez l’enfant, est toujours le résultat d’un effort. Dans l’asile des petites filles de Villepinte, il faut d’abord s’occuper de faire de la santé ou, tout au moins, de la résistance à la maladie ; on fera de l’instruction si l’on a des loisirs ! Il est indispensable que ces fillettes vivent en plein air le plus possible. Dès que le printemps