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me chercher à la station de Sevran. La maison m’était apparue comme une infirmerie modèle, où les malades, les agonisantes, les mortes même sont entourées de soins attentifs et respectueux. Je n’en avais pas été surpris ; mais une enquête, pour être sincère, a besoin d’être contrôlée, et, tout en parcourant les dortoirs irréprochables, en soulevant le couvercle des casseroles bien garnies, en voyant les jeunes filles rieuses, en me sentant ému devant le petit cadavre si bien paré, je me promettais de revenir regarder dans la maison un jour que je ne serais pas attendu et, comme disent les bonnes gens, d’y tomber à l’improviste. Je suis parti de Paris en voiture, j’ai effleuré Pantin et je me suis engagé sur la route des petits ponts, qui, en langage administratif, s’appelle la route n° 24. Je n’en connais pas de plus laide ni de moins « roulante ; » parfois on se croirait au milieu des fondrières de la place de l’Europe. Le paysage est affreux dans les champs, des bandes de corbeaux, en marge du chemin, quelques masures où l’on vend de l’engrais animal ; par-ci, par-là, un cantonnier remue de la boue avec sa pelle ; à l’horizon se dressent des coteaux attristés par l’hiver ; pas une voiture, pas une charrette ; de loin en loin, on aperçoit un homme qui dort à l’abri d’une meule de paille. Aux environs d’Aunay-lès-Bondy, l’aspect du pays s’égaie un peu et des bouquets d’arbres en rompent la monotonie. Deux heures après mon départ, je sonnais à la porte du château rouge. La supérieure de l’asile me reçut et fut étonnée. La maison était en ordre, dans l’état même où je l’avais vue lorsqu’on me la montrait et que j’avais pu la croire un peu préparée à mon intention. Il m’a été impossible de découvrir une modification quelconque ; tel j’avais vu l’asile à ma première visite, tel je le voyais à la seconde. Tout de suite je dis à la supérieure : « Et la petite fille aux cheveux d’or ? » Elle me répondit : « Elle est morte cette nuit. » Je gravis l’escalier, j’ouvris la porte de la chambre funèbre ; l’enfant était couchée sur le lit qu’elle ne quittera que pour être mise au cercueil ; elle est vêtue de la robe blanche, le ruban bleu descend jusqu’à ses pieds, ses mains sont entourées par le chapelet, le voile de mousseline la couvre tout entière, les trois lumières symboliques brillent derrière elle, des femmes agenouillées prient pour son repos. C’est bien, c’est ce que j’ai déjà vu lorsque l’on m’attendait ; il n’y a que la pauvre petite morte qui ne soit pas la même.


III. — L’ANCIENNE GRANGE.

Une mère qui avait perdu un de ses enfans a pensé aux enfans chétifs pour lesquels la vie s’ouvrait mal et a voulu leur venir