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bénéfice de la vie régulière et du régime observés dans l’asile. « Les sorties provoquaient trop de rechutes, me disait une sœur. » J’ai déjà signalé le fait, lorsque je me suis occupé de l’Orphelinat des apprentis à Auteuil : jour de congé, jour de « noce. » Moralement et physiquement, le mieux obtenu est compromis ; à Villepinte, on est tellement convaincu du danger que les malades courent dans leurs familles qu’on ne laisse sortir que les incurables et encore le plus rarement possible. Quant aux autres, à celles pour lesquelles toute voie de retour à la santé n’est pas définitivement close, on s’appuie sur les prescriptions du médecin et on les garde dans la bonne maison, dans la maison vraiment maternelle, qui ne s’ouvrira devant elles qu’après guérison ; dans ce cas, « le chômage » de la rue de Maubeuge les recevra et leur laissera le loisir de trouver une condition. Ainsi l’œuvre de protection est complète ; dès lors on peut comprendre pourquoi les anciennes malades de Livry et de Villepinte conservent un vif sentiment de gratitude pour la maison qui les a sauvées, et pourquoi, dès qu’elles ont une heure de liberté, elles viennent voir celles qu’elles nomment « nos mères. »

A côté de l’infirmerie des poitrinaires, qui est l’œuvre maîtresse, l’œuvre originale des religieuses de Marie-Auxiliatrice, le château rouge accepte quelques pensionnaires. Des femmes malades, ne pouvant se faire soigner chez elles, redoutant la sécheresse de bien des maisons de santé, viennent demander secours à Villepinte, où trois chambres leur sont réservées. Le grand parc les attire, mais surtout la douceur et la tendresse des religieuses. Un de ces immenses magasins qui occupe tout un peuple d’employés s’est adressé à la maison de Viliepinte pour y faire traiter ses « demoiselles, » lorsqu’elles sont malades. Là, elles sont l’objet de soins qu’elles ne trouveraient peut-être pas ailleurs, car le médicament n’est pas l’unique agent des guérisons. J’ai voulu savoir ce que l’un des chefs du grand établissement auquel je fais allusion pensait du régime de Villepinte ; je lui ai écrit et j’extrais de sa réponse le passage suivant, qui est intéressant à plus d’un égard et qui m’a paru l’expression même de la vérité : « Il faut connaître les misères des demoiselles de magasin pour apprécier l’importance de l’œuvre confiée aux religieuses de Marie-Auxiliatrice. Ces jeunes filles débutent vers dix-sept ans ; il faut qu’elles soient rendues à leur rayon à huit heures du matin pour le quitter vers neuf heures du soir. Ces treize heures de travail sont coupées par deux repas, seuls momens de la journée où il soit permis de s’asseoir, car il faut sans cesse être prévenante et empressée auprès des clientes, faire les étalages le matin, ranger les rayons et faire le déplié le soir. L’air enfermé des magasins où la foule s’est succédé au long du jour, la