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l’aliénation mentale, est presque inconnue chez les enfans. Avant la puberté, la tuberculose ne se manifeste guère que sur les enveloppes du cerveau (méningite tuberculeuse), ou sur les ganglions du mésentère (carreau) ; quant à l’hémoptysie (crachemens et vomissemens de sang), elle n’existe pas au-dessous de la septième année et elle est exceptionnelle avant la quinzième. Les poitrinaires de Villepinte ont donc dépassé depuis longtemps l’âge de raison, lorsqu’elles sont admises dans l’asile ; aussi n’a-t-on point de reproches à leur adresser ; mais si la malade est obéissante, la maladie ne l’est pas. Bien souvent il faut user de subterfuge et susciter des complices pour empêcher une pauvre fillette qui s’affaiblit et ne s’en aperçoit pas, de faire son lit, de balayer la chambre, de se livrer, en un mot, au travail quotidien, qui, pour elle, est une sorte de passe-temps. Ceci n’est pas très difficile, car cette maladie a cela de particulier qu’on la reconnaît chez les autres et qu’on l’ignore pour soi-même ; aussi pendant la première et la seconde périodes, on parvient, sans trop de peine, à les occuper et à les satisfaire, même lorsque l’anémie développe chez elles un appétit que rien ne semble pouvoir apaiser et qui se traduit par une consommation de pain prodigieuse (11,700 kilogrammes en 1883) ; mais lorsqu’elles entrent dans la dernière période, lorsque le tubercule a creusé sa caverne mortelle, lorsque l’ongle s’est recourbé et que l’extrémité du doigt a la forme d’une spatule, lorsque la toux nocturne est incessante et que les sueurs sont profuses, la maternité des sœurs reste parfois impuissante devant l’irrégularité des caprices et les exigences d’une volonté qui ne s’appartient plus. La prédominance nerveuse est la plus forte, la malade y obéit. Elle devient instable ; elle est animée d’un désir incessant que, bien souvent, elle ne pourrait formuler ; partout où elle est, elle croit qu’elle serait mieux ailleurs ; chaque jour, presque à chaque heure, elle veut changer de place ; tant que l’on peut, on lui obéit ; le règlement de Villepinte est fait en faveur des malades et non point au profit des infirmières. Et la nourriture : « c’est une affaire d’état, » me disait une sœur. Malgré deux plats de viande et deux plats de légumes variés, qui permettent au dîner et au souper de faire un choix, les malades auxquelles la mort a déjà fait signe goûtent les alimens les uns après les autres, les repoussent, et ne peuvent manger. Ainsi qu’elles le disent elles-mêmes, elles ont des « envies ; » elles demandent des crevettes, du homard, des sardines, des huîtres. Eh bien ! on leur en trouve, coûte que coûte ; devant la fantaisie satisfaite, l’appétit se réveille et, le plus souvent, se rendort aussitôt.

A Villepinte on n’accepte pas seulement les malades du troisième degré, pour les aider à mourir ; celles du premier et du second