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« L’an prochain, quand je conduirai ma fillette à Florence, viendrez-vous avec nous ? » Toutes celles qui sont à Villepinte sont ainsi ; à la qualité même des projets, on pourrait, jusqu’à un certain point, reconnaître celles qui ne survivront pas. Dans quelques mois, elles seront mortes, et elles se racontent ce qu’elles feront lorsqu’elles seront grand’mères. On pourrait affirmer que les plus tristes sont les moins malades.

On s’ingénie à les rendre heureuses et il m’a semblé que l’on y réussissait. La maison a-t-elle une discipline ? Je ne sais trop ; il serait plus juste de dire qu’elle a des habitudes auxquelles se conforment les soixante-treize malades qui l’habitaient lorsque je l’ai visitée. On doit être levé pour assister au premier repas qui est servi à huit heures et demie du matin ; puis l’on fait le ménage et l’on reste sans occupation déterminée jusqu’à onze heures et demie ; on dîne et on a ensuite deux heures de récréation ; de deux heures à trois heures et demie, on travaille ; dans une telle infirmerie, il ne manque pas de draps à recoudre, de taies d’oreiller à réparer, en un mot, de linge à « entretenir, » et on y emploie les malades valides ; à trois heures et demie, on goûte ; de quatre heures à cinq heures, on reprend l’œuvre de la couture ; à cinq heures, on est en liberté, on soupe à six heures, et à huit heures on se met au lit. Comme on le volt, la journée est distribuée de façon à éviter l’ennui ; le travail est une distraction et ne devient jamais une fatigue. Selon la saison, les pauvres filles vivent en plein air ou dans le logis ; ce sont des plantes frileuses, on les rentre en hiver, on les sort en été. La maison est un asile religieux, dirigé par des sœurs qui se conforment à une règle austère, je le sais ; mais c’est avant tout un asile thérapeutique. Chaque jour, la messe est dite à sept heures et demie pour la communauté, nulle malade n’y assiste ; le dimanche, elle n’est célébrée qu’à dix heures ; mais celles-là seules auxquelles le médecin en a donné l’autorisation sont admises à la chapelle. De même, pour la table des malades, qui ne connaît ni les jeûnes, ni les carêmes, ni les abstinences. L’hygiène appropriée aux anémies, aux tuberculoses, aux phtisies, exige une nourriture substantielle où la viande n’est pas épargnée ; on le sait à Villepinte, et le vendredi a ses filets de bœuf comme un simple dimanche. La cuisinière en chef, c’est le médecin ; il ordonne les repas comme il prescrit les potions.

Les malades, sans qu’elles s’en doutent, sont divisées par catégories correspondant au degré de leur maladie : les moins malades, les plus malades, les très malades, les agonisantes. Les deux premiers groupes ont des dortoirs garantis du nord par un couloir qui fait à la fois office de double muraille et de ventilateur ; un