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parfois clignotant de la paupière, comme si la moindre clarté les éblouissait. Elles sont amenées par leur mère et souvent par les sœurs de Saint-Vincent de Paul, que l’on trouve partout où il y a quelque bien à faire. Ces créatures chétives sortent des mansardes de Paris ; ce n’est pas l’insalubrité du logement qui les a faites ce qu’elles sont, c’est l’insalubrité paternelle. Les plus faibles, les plus étiolées restent entre les mains des sœurs ; Marie-Auxiliatrice ne les repousse pas, et je dirai plus tard quel asile la charité vient d’ouvrir à leur débilité ; car l’œuvre n’accueille pas seulement les jeunes filles poitrinaires, elle emporte sous ses ombrages les toutes petites filles qui pourraient le devenir. La fondation est récente, et la fille d’un grand architecte y a attaché le nom de son père.

Quand, après l’examen médical, une malade a été reconnue atteinte, à un degré quelconque, dans le principe même de la vie, elle est dirigée sur Villepinte, à la condition que l’on puisse lui faire une place. Il est rare que l’on ne soit pas obligé d’attendre que la mort ait vidé un lit. Cependant j’ai vu une malade à neuf heures du matin dans le cabinet de consultation et je l’ai retrouvée à l’infirmerie de Villepinte, le même jour, à une heure de l’après-midi. Je m’y étais rendu par le chemin de fer ; le petit omnibus de l’asile était venu me chercher à Sevran ; au bout d’un quart d’heure, j’étais arrivé devant le château rouge, ainsi que disent les gens du pays. Deux tourelles à queue d’aronde sont reliées par un corps de logis assez ample ; le tout est en briques dont un badigeon a exagéré la couleur primitive. La supérieure générale m’avait précédé, et j’ai pu, grâce à sa complaisance, parcourir la maison jusque dans les recoins les plus secrets. La distribution des logemens est selon le mode des anciens architectes, qui n’épargnaient ni les escaliers, ni les couloirs, ni les chambrettes, ni les « pas, » et dont l’idéal paraît avoir été d’établir partout une différence de niveau. Dans le salon primitif, qui sert de parloir aux sœurs, quelques boiseries sculptées rappellent le souvenir des propriétaires d’autrefois et sont l’indice d’un luxe oublié aujourd’hui ; de toutes les pièces, c’est la seule qui ne soit pas consacrée aux malades ; la maison leur appartient ; elles y sont chez elles, le savent, et s’y plaisent.

La cuisine est de dimensions sérieuses et outillée d’instrumens en fer émaillé qui dédaignent l’étamage et sont réfractaires aux accidens ; les casseroles qui mijotent sur le fourneau et les broches qui tournent devant le feu sont d’aspect rassurant ; on comprend que l’hygiène alimentaire est particulièrement surveillée et que, dans le traitement appliqué aux malades, la sœur cuisinière donne la main à la sœur pharmacienne. J’ai soulevé quelques couvercles et j’ai trouvé que « l’ordinaire » sentait bon. De la cuisine au