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on fait entrer les malades, ouvrières de Paris pour la plupart, en robes de laine, coiffées de chapeaux prétentieux, obligées peut-être, par économie, de se restreindre pour la nourriture, mais, ne pouvant faillir à la nécessité de s’affubler d’un faux chignon et de s’augmenter de ce que nos grand’mères appelaient « une tournure. » Elles sont émues. Le laryngoscope, le miroir à long manche qui permet de voir les cordes vocales, les fioles massées dans une boîte ouverte, les pinceaux les effraient un peu. Quelques-unes se défendent contre l’examen et se mettent à pleurer ; on les rassure par de bonnes paroles, et pour les plus récalcitrantes, la supérieure a des câlineries qui réussissent à les vaincre. Le médecin, expert en son art a vite fait d’ouvrir une bouche qui voudrait rester close, de rabattre la langue, d’éclairer les fosses de la gorge jusqu’en leur profondeur et de les barbouiller de créosote. La malade écarquille les yeux et a une seconde de stupeur, comme si elle venait d’échapper à un danger. L’auscultation est lente et minutieuse, car le plus ou moins de matité de la sonorité thoracique est un indice précieux pour déterminer la période et, par conséquent la gravité du mal. Presque toutes les malades que j’ai vues se présenter à la consultation sont pâlottes ; la main est moite, l’ongle est bombé, la voix semble fêlée ; il y a dans leur carnation quelque chose de diaphane qui donne de l’étrangeté au visage ; elles ont des gestes doux, un peu enfantins, et parfois des rougeurs subites. Quelques-unes expliquent nettement le genre de souffrances dont elles se plaignent ; elles parlent « de la petite fièvre, » des sueurs nocturnes, des chaleurs de la poitrine, de leur voix « qui siffle sans qu’elles sachent pourquoi. » Chez plusieurs d’entre elles, le mal, a déjà rompu l’équilibre nerveux ; elles ont le tourment de l’inconnu : « Je voudrais m’en aller. — Où ? — Je ne sais pas : bien loin, bien loin ! » Pour celles-là l’anémie a fait son œuvre, la névrose n’est pas loin. Quelques-unes, parmi les plus âgées, sont obtuses. Elles souffrent, c’est tout ce qu’elles savent dire. Aux questions paternelles du médecin, elles répondent : « Peut-être bien ! » Une vieille poitrinaire qui n’avait plus qu’une dent, s’était débarrassée de son corsage pour faciliter l’auscultation et découvrait des épaules pointues où les clavicules creusaient des « salières. » On lui disait : « Qu’avez-vous ? Où souffrez-vous ? » Elle répétait : « Je ne sais pas, c’est quelque chose qui me « tribouille » dans l’estomac. »

Dans l’étroit cabinet de la rue de Maubeuge, les maladies du larynx ne sont pas les seules que l’on traite. Lorsque les poitrinaires ont été examinées, on voit arriver les petites filles malingres, bouffies par la lymphe, pâlies pan l’hydrémie, la tête de côté, le cou gonflé de glandes, encombrées de mucosités, parfois sourdes et