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entreprenante de l’œuvre qu’il avait créée. La femme est plus hardie que l’homme ; son cœur l’entraîne et souvent la précipite aux périls qu’elle n’a pas mesurés, qu’elle n’a même pas prévus. On rêvait une émigration plus lointaine, du côté du Nord, vers ce Paris où, quelque active que soit la charité, elle est toujours en retard pour prévenir des misères dont les causes de production sont incessantes et multiples. Paris exerce une irrésistible attraction sur les âmes bienfaisantes comme sur les âmes ambitieuses. Pour celles-ci, c’est le royaume des surprises et des coups de fortune ; pour celles-là, c’est le pays de la souffrance, de l’infortune, de la déception, où le malheur ne chôme pas et où les mamelles de la charité ne sont jamais assez gonflées. On désirait donc venir à Paris ; mais l’heure était mauvaise pour plier sa tente et commencer un nouvel exode. L’invasion marchait sur nous ; la haine et l’envie, évitant de faire face à l’ennemi, s’armaient pour profiter de la défaite et saccager la France ; après la capitulation, la commune ; après la guerre malheureuse, l’assassinat, l’incendie, le pillage. La patrie oscilla sur sa base ; sans l’armée qui la soutint, elle s’écroulait. Dès que la lassitude plutôt que la raison eut calmé les passions furieuses, les sœurs de Marie-Auxiliatrice accoururent à Paris, où le champ de la charité s’était agrandi en raison de nos désastres. En 1872, elles s’établirent rue de Maubeuge, au centre même de la cité dolente qui a plus de cercles que l’enfer. Les œuvres contemplatives peuvent vivre à la campagne, dans le désert même, leur platonisme ne s’en trouve que mieux ; mais les œuvres actives perdent leur raison d’être si elles ne se fixent dans des milieux où la richesse, le vice, la bienfaisance, la maladie, leur assurent une large moisson de misères et d’aumônes.

L’œuvre encore indécise fondée par l’abbé de Soubiran venait de prendre possession de son véritable terrain ; elle allait y rencontrer des infortunes qui devaient déterminer sa mission définitive. Dès les premiers temps de son séjour à Paris, la communauté sentit que des accroissemens considérables lui étaient imposés ; à la diversité des misères, ou tout au moins des inquiétudes qui heurtaient à sa porte, elle reconnut que l’appui moral accordé à des filles en quête de condition n’était qu’une œuvre utile, mais secondaire, dont la vraie charité, — qui est sans limite, — ne pouvait se contenter. L’œuvre s’amplifia donc sous l’influence même des nécessités qui la sollicitaient et se généralisa, sans cependant sortir des bornes où son fondateur l’avait circonscrite : secourir et aider par tous moyens les jeunes filles, les jeunes femmes sans travail et ne pouvant vivre que du produit de leur labeur. Les accroissemens ont été successifs, et l’on peut dire qu’ils se sont