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elles les respectent, mais elles les recherchent et plongent au plus profond des désespérances humaines pour y découvrir quelque misère plus lamentable que les autres. Derrière l’humilité d’une existence volontairement dénuée, il y a une persistance de dévoûment qui arrache des cris d’admiration aux plus sceptiques ; sous le scapulaire de certains hommes, sous la guimpe blanche de bien des femmes, on sent battre des cœurs auxquels nul sacrifice n’est inconnu. Dans, ces maisons closes où je suis entré de jour et de nuit sans être attendu, et où je n’ai jamais vu qu’un spectacle fait pour attendrir, on s’ingénie à embaumer la souffrance dans les bonnes paroles et dans les bonnes actions. Entre le mal et la charité la lutte est incessante ; quelque habile que soit le mal à multiplier ses formes, la charité le guette, le poursuit, l’atteint et l’affaiblit sans oser concevoir l’espérance de le vaincre.

Au fur et à mesure que les grands centres de population se sont développés, l’indigence et les maladies y ont trouvé des proies nombreuses sur lesquelles elles se sont jetées. Dans les villes trop peuplées, le fléau est permanent et n’a qu’un ennemi : la charité permanente. Au milieu des cités immenses comme Paris, la charité ne peut rester générale, elle y succomberait, sans profit pour elle et au préjudice des malheureux ; elle a dû limiter son action, catégoriser son œuvre, pour ainsi dire, afin de ne point manquer à la mission qu’elle s’est imposée. De même qu’il y a des médecins qui ne traitent que certaines maladies, de même les associations charitables n’ouvrent leurs bras qu’à certaines misères. On l’a vu déjà, les Petites-Sœurs des Pauvres n’accueillent que les vieillards indigens ; les frères de Saint-Jean de Dieu ne soignent que les enfans détruits par les scrofules, les Dames du Calvaire n’admettent que les cancérées dans leur infirmerie sans pareille, l’Orphelinat des apprentis ne ramasse que les petits vagabonds. On dirait que, près de chaque défaillance de la matière et de l’esprit, la foi envoie un de ses apôtres pour panser les plaies et nettoyer l’âme. Gagne-t-elle le ciel de la sorte ? Je l’ignore, mais je sais qu’elle fait un bien considérable, et cela seul m’importe.

L’œuvre dont je vais essayer de parler est spéciale ; elle est de création récente, essentiellement parisienne, et cependant elle est née à Castelnaudary, dans cette ville jadis hérétique qui fut « le château neuf des ariens, » castellum novum arianorum. Celui qui en conçut la première idée ne se doutait guère qu’elle se ramifierait en plusieurs branches et qu’elle se diviserait vers des buts différens qu’il n’avait pas entrevus. C’était un prêtre de noble race, nommé Louis-Jean-Marie de Soubiran. Sa famille, qui habitait le château de La Louvière, dans le canton de Salles-sur-Lhers, avait émigré pendant la révolution ; le futur fondateur des Sœurs de Marie-Auxiliatrice