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sous ses ordres le prince son frère et le prince Lobkowitz, avait ouvert, le 13 août, les opérations du siège. Bien qu’elles fussent mollement conduites avec une artillerie insuffisante, et bien que le blocus établi autour de la ville fût imparfait (comme le prouvent les correspondances régulières qui ne cessaient d’être entretenues avec le dehors et que nos archives possèdent) la gêne n’en était pas moins très grande. Si les hommes ne souffraient pas encore de la faim, grâce aux approvisionnemens abondans très bien préparés par l’intendant Séchelles, la cavalerie manquait entièrement de fourrages et dépérissait à vue d’œil. On essayait bien de pourvoir à cette insuffisance croissante par des sorties très fréquentes, très énergiquement conduites, et l’une, en particulier, dirigée par le maréchal de Broglie en personne, fut une véritable victoire qui lui fit beaucoup d’honneur : il détruisit toutes les parallèles tracées par l’ennemi en face de la place et lui emporta vingt canons et autant de drapeaux. Mais ces brillans faits d’armes n’apportaient à la disette, qui était le véritable mal, que des remèdes insuffisans et momentanés. Le regret de voir périr, la douleur de devoir abattre soi-même ces nobles bêtes qui sont, en campagne, les véritables amies de leurs cavaliers, répandaient dans l’armée entière une tristesse et un découragement profonds.

Le mécontentement n’était pas moindre dans la cité : les souffrances inévitables d’un siège que le sentiment patriotique lui-même fait difficilement supporter, paraissaient intolérables aux habitans de Prague, indifférens sinon hostiles aux succès des armées françaises. Leur impatience était d’autant plus grande que le maréchal de Broglie avait la main très dure et ne leur épargnait ni exigences ni réquisitions d’aucun genre. Un instant, même il eut la pensée, pour se créer des ressources, de faire vendre ou de fondre tous les objets de prix qu’il pourrait trouver dans les monumens publics et dans les églises ; ce fut Belle-Isle, plus prudent et plus politique, qui réussit à le détourner de cette exécution[1].

Malheureusement ce n’était pas le seul point de dissidence qui mît aux prises les deux maréchaux. Leur vieille inimitié, excitée par l’ennui d’un tête-à-tête incommode, se donnait carrière avec plus de vivacité que jamais, et faisait de la vie commune dans un espace si resserré un véritable enfer. Vainement avaient-ils essayé de répartir entre eux la besogne, afin de se prêter mutuellement appui

  1. Voir les détails de la grande sortie exécutée par le maréchal de Broglie, le 22 août. (Campagnes des maréchaux de Broglie et de Belle-Isle en Bohême et en Bavière, t. V, p. 172.) — Barbier mentionne ce brillant fait de guerre, qu’il appelle une victoire complète et infiniment glorieuse à M. de Broglie, t. IV, septembre 1742. — Belle-Isle à Amelot, 29 juillet 1742. (Correspondances diverses. Ministère de la guerre.)