Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/543

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

d’un écho : il ne s’agit donc que de passer du domaine des utopies à l’exécution. Encore quelques années, et les flottilles auront repris leur rang si important sur les mers.

Nous avons vu quels ravages put exercer, pendant la captivité de Valêrien, grâce à la négligence ou au dépérissement de la marine impériale, une flottille composée d’environ cinq cents voiles. Quelques mois à peine après la terrible invasion, les tribus de la Germanie et de la Sarmatie s’unissaient aux Goths du Borysthène pour préparer une expédition bien plus formidable encore. « Les affaires de l’empire, suivant l’énergique expression de Bossuet, se brouillaient déjà d’une terrible manière. » Cette époque est celle que les historiens ont désignée sous le nom de période des trente tyrans : elle ne dura heureusement que quelques mois.

La plus impardonnable des faiblesses pour tout esprit qui affiche la prétention de gouverner autre chose que son foyer consiste à s’exagérer la portée des épreuves que l’état traverse. « Jamais pareilles calamités n’ont affligé la république ! » s’écrient, dans leur épouvante, ceux qui n’ont pas feuilleté les vieilles annales ou qui les ont oubliées. L’écrivain romain leur répond : « Détrompez-vous ! le sentiment trop vif des maux présens vous égare : des événemens de même nature, des crises tout aussi graves se sont renouvelés plus d’une fois. Le mal a passé et les choses n’ont pas tardé à reprendre leur niveau — Res in integrum sunt restitutœ. » La situation cependant était vraiment critique en l’année 268 de notre ère : le fils de Valérien, l’empereur Gallien, venait d’être tué devant Milan, pendant qu’il assiégeait un général factieux, le fameux Auréole ; presque au même moment 320,000 barbares, portés, s’il en faut croire Zonare, par six mille bateaux, construits et rassemblés à l’embouchure du fleuve que nous nommons aujourd’hui le Dniester, faisaient à la fois irruption sur les côtes de l’Europe et sur celles de l’Asie. Rome, — la république, comme on l’appelait encore, — était épuisée ; elle n’avait plus de boucliers, plus d’épées, plus de javelots ; un autre usurpateur, Tetricus, était maître des Gaules et des Espagnes ; tous les archers servaient sous Zénobie. Il fallait un grand homme pour sauver la situation ; le sénat crut l’avoir trouvé : « Claude Auguste, vous êtes le modèle des frères, des pères, des amis, des sénateurs et des princes ! Claude Auguste, délivrez-nous d’Auréole ! Claude Auguste, délivrez-nous des Palmyréens ! » Auréole, nous l’avons déjà dit, était ce général dont le triomphe eût eu la signification d’un ordre d’exil ou de mort pour la plupart des pères conscrits ; quant aux Palmyréens, leur alliance avec les Perses, les avantages qu’ils avaient déjà remportés, mettaient en sérieux péril la domination romaine en Orient. Claude fut donc acclamé : « Il avait la valeur de Trajan, la piété d’Antonin