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après les avoir hissés au bout de vergue, il les descendit simplement à l’eau. Des embarcations les attendaient ; les cavaliers, qui y avaient pris place, saisissaient les chevaux par la longe, leur soutenaient la tête à peu près à la hauteur du plat-bord et le convoi se mettait en marche. Dès que les canots touchaient le fond et se trouvaient arrêtés par la déclivité de la plage, les conducteurs abandonnaient les animaux à eux-mêmes : l’instinct du cheval le poussait à rejoindre ses compagnons. Savary nous affirme que le débarquement de la cavalerie s’opéra de cette façon avec une rapidité surprenante : le général Desaix lui en adressa les plus vifs complimens. Dans un port, ce procédé expéditif doit en effet réussir ; sur une côte battue par la moindre mer du large, il pourrait donner lieu à plus d’un mécompte : le cheval a horreur des brisans. C’est, du reste, une question à étudier.

Il y en aurait bien d’autres à éclaircir, si, nous voulions suivre l’exemple des Allemands et des Russes. La création d’une flottille pouvant se suffire à elle-même ne me parait pas chose impraticable, et cette solution du problème est celle vers laquelle j’inclinerais de grand cœur, ne fût-ce qu’à cause de sa simplicité et de ses immenses avantages, mais je prévois sans peine toutes les objections qu’un pareil projet soulèverait. Nous n’aimons pas, en France, à être troublés dans nos habitudes : l’idée d’exposer des troupes sur des esquifs qu’un seul coup de mer peut submerger n’est plus de notre époque ; il faudrait avoir l’âme de Germanicus ou celle d’un hetman de Cosaques Zaporogues pour se lancer gaîment dans pareille aventure. Embarquons donc les esquifs eux-mêmes ; nous écarterons ainsi toute chance contraire. Combien de péniches de vingt, de trente, de quarante ou de cinquante avirons suppose-t-on qu’un de nos grands transports pourrait recevoir, s’il était aménagé pour prendre à son bord non plus des bateaux-torpilleurs, mais des embarcations longues, étroites et légères ? Cent péniches, est-ce trop ? Mettons-en donc cinquante. À ce taux, dix transports pourront conduire, sur les lieux où vous vous proposerez de tenter une descente, cinq cents bateaux à rames : ces bateaux donneront très aisément passage à dix mille hommes. Voilà déjà une grosse division d’infanterie jetée à terre promptement et d’un seul coup, à une condition, cependant, c’est que l’aviron sera aux mains du soldat et que le soldat aura, de longue date, appris à le manier. Avec vingt transports, — dix pour porter les hommes, dix pour charger le matériel flottant de la descente, — on peut s’épargner les dangers d’une traversée dans des barques à demi pontées. L’artillerie et la cavalerie exigeront, il est vrai, des navires d’une construction spéciale : je ne mets pas en doute que ces navires, on n’arrive à les faire assez plats de varangues pour qu’ils puissent, dans