Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/53

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Anglais dans le Hanovre. Cette division, forte d’environ trente mille hommes, était encore à peu près intacte, car ni Anglais, ni Hollandais n’ayant bougé, elle était restée toute l’année l’arme au bras, dans un pays riche et paisible, où elle ne manquait de rien[1].

Mais, bien que ces troupes fussent en état de se mettre en route au premier ordre qu’elles recevraient, il n’en était pas moins très grave de le leur donner, car si leur présence en Westphalie avait été, jusque-là, assez inutile, c’était uniquement, comme je viens de le dire, grâce à l’inaction des puissances maritimes. Or le moment était justement venu où cette inaction paraissait devoir cesser. Devant les menaces proférées très haut par les ministres anglais et déjà répétées à demi-voix par les états-généraux de Hollande, éloigner l’armée qui était destinée à tenir tête à ces nouveaux adversaires, c’était ouvrir à l’ennemi une libre carrière jusqu’au centre de l’Allemagne, et, qui sait ? peut-être même jusqu’au cœur de la France. Une fois cette dernière armée française partie et trop engagée au loin pour pouvoir être rappelée, qui pouvait répondre que des régimens d’infanterie anglaise, débarqués à Anvers ou Rotterdam, puis grossis d’auxiliaires hessois ou hanovriens que les subsides du parlement avaient déjà recrutés, et guidés par un nouveau Marlborough, n’auraient pas l’audace de se porter sur quelque point de nos provinces du Nord ? Cette diversion ne trouverait alors rien devant elle que la fameuse frontière de fer de Vauban, complètement dégarnie de défenseurs. Le temps n’était pas si éloigné où, après Hochstedt et Ramillies, des éclaireurs ennemis s’étaient avancés jusqu’en vue de Versailles. Ce fut sans doute le souvenir de ces jours d’angoisses, dont on était séparé par trente ans à peine, qui décida le roi et le cardinal, avant de prendre un parti qui pouvait en amener le retour, à demander, par une consultation solennelle, l’avis de ceux qui en avaient été les témoins, des compagnons encore vivans de Berwick et de Villars. Les doyens des maréchaux de France, présens à Paris : Puységur, Asfeld et Noailles furent réunis chez le marquis de Breteuil, dans un véritable conseil de guerre, et, après avoir exprimé leur sentiment sur l’expédition projetée, ils furent engagés à le consigner par écrit dans divers mémoires qui durent être soumis au roi et aux ministres.

Les deux plus âgés, Puységur, qui n’avait pas moins de quatre-vingt-quatre ans, et Asfeld, qui en comptait déjà soixante-dix-huit,

  1. Voir sur les difficultés rencontrées par Maurice de Saxe pour conduire en Bohême l’armée du Haut-Danube, les correspondances du chevalier d’Espagnac avec le marquis de Breteuil (Campagnes du maréchal de Broglie, t. IV, publiées à Amsterdam), et celles du chevalier de Puysieux, en appendice aux Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 304 et suiv.) — Voir aussi les Correspondances officielles du ministère de la guerre, passim.