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Philippe, Dèce, Gallus, Volusius, Émilien, défilant au fond du tableau comme des ombres, et « ce vénérable vieillard, » Valérien, à qui la souveraine puissance fut déférée dans un jour d’alarme, livré aux Perses par la trahison, Gallien, le fils et le collègue du monarque captif, « achevant de tout perdre » par son inaction, — il allait à son but par une route inflexible. Sa logique chrétienne ne voulait, à travers tous ces événemens dont il arrêtait par quelques traits de feu les grands contours, discerner qu’une lumière : la poursuite des desseins de Dieu sur son église. La critique moderne ne saurait accompagner l’éloquent prélat dans cette voie ; Montesquieu et Gibbon ont refusé, aussi bien que Voltaire, de l’y suivre. « La brièveté des règnes, écrit Montesquieu, les divers partis politiques, les différentes religions, les sectes particulières de ces religions ont fait que le caractère des empereurs est venu à nous extrêmement défiguré. » Je n’essaierai pas de réformer les jugemens de l’histoire sur ce point ; je tiens à me renfermer exclusivement dans mon sujet technique et je pense bien moins à savoir sous quel régime le monde a vécu depuis l’avènement d’Auguste en l’an 31 avant Jésus-Christ, jusqu’à l’élévation de Claude II le Gothique en l’année 268 de notre ère, qu’à grouper de mon mieux tous les faits maritimes, sans acception de pays ou de siècle, pour en chercher la loi et pour leur demander d’utiles enseignemens.

César, suivant l’expression de Tacite, n’avait fait que montrer la Bretagne aux Romains ; il ne la leur avait pas donnée. Eût-il même conquis ce territoire si profondément séparé du reste du monde, qu’il eût probablement hésité à en garantir la paisible possession au sénat : « Le Gaulois, disait-il, est prompt et ardent à prendre les armes ; il manque de fermeté dans les revers ; le Breton, au contraire, est tenace ; il faut revenir souvent à la charge pour le soumettre. » Cette soumission définitive, Claude voulut l’entreprendre dès le début de son règne. Déjà Caligula y avait songé : le poignard de Chéréas ne lui laissa que le temps d’élever à l’entrée du port de Boulogne un phare qui put du moins faciliter l’exécution du plan de campagne arrêté par son successeur.

Claude alla s’embarquer à Ostie. Deux fois, avant d’avoir réussi à gagner Marseille, il faillit sombrer sous une bourrasque de mistral, en vue de la côte ligurienne d’abord, près des îles d’Hyères ensuite. Ce premier pas n’avait certes rien d’encourageant ; : plus d’un Romain serait rentré chez lui : Claude continua sa route. De Marseille il atteignit Gesoriacum par terre, en traversant les Gaules. Gesoriacum, c’était autrefois Boulogne-sur-Mer, comme les îles Stéchades étaient les îles d’Hyères. Arrivé à Gesoriacum, l’empereur ne se borna pas, comme son prédécesseur, — s’il nous faut croire le moins croyable de tous les historiens, — à emporter pour tout trophée des