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trompé. C’est une leçon dont je vous remercie et dont je tâcherai de profiter, et que j’aime encore mieux avoir reçue qu’avoir donnée. Je n’en ai pas usé de même pour des lettres beaucoup plus importantes que j’ai reçues en diverses occasions, quoique j’eusse pu souvent en tirer de grands avantages. Mais il paraît que l’usage est différent à Vienne ; il est juste de s’y conformer et je vais du moins me corriger[1]. » Il faut dire que Königseck, en gentilhomme bien élevé, s’est toujours défendu d’avoir été pour rien dans cette inconvenante publication, et M. d’Arneth, qui, même après un siècle, en paraît encore embarrassé, essaie d’en justifier aussi la reine. On ne voit pourtant pas trop comment une telle pièce, de nature confidentielle, serait tombée entre les mains des gazetiers hollandais si personne ne la leur avait livrée[2].

L’amour-propre blessé arracha à Fleury ce que ni prudence, ni patriotisme n’aurait probablement pu obtenir de lui : un acte de courage. La résolution fut prise presque immédiatement d’agir de vigueur pour tirer de peine les assiégés de Prague et rétablir les affaires en Allemagne. Que faire cependant ? On avait bien espéré d’abord que le corps d’armée du duc d’Harcourt pourrait se frayer un chemin jusqu’à Prague, en passant sur le corps du maréchal de Khevenhüller ; on avait même confié cette entreprise audacieuse à l’homme des coups, hardis par excellence, le comte de Saxe, revenu précipitamment, sur les nouvelles de la paix de Breslau, d’un voyage qu’il avait fait eh Russie pour assister au couronnement d’Elisabeth. Mais Maurice, mis à la place de d’Harcourt, dut reconnaître lui-même, après examen, qu’avec le petit nombre et le mauvais état des troupes dont il disposait, l’opération était non-seulement impossible à mener à fin, mais dangereuse à tenter : car si on était forcé de reculer en déroute, Khevenhüller pourrait alors aller rejoindre le prince Charles, et les Autrichiens seraient en liberté de rassembler toutes leurs forces pour accabler ceux qu’on aurait vainement essayé de secourir. D’autre part, envoyer des renforts de France, au moyen de levées nouvelles, était une extrémité presque impraticable dans l’état d’épuisement du royaume. Une seule ressource restait : c’était de diriger sur l’Allemagne le corps d’armée qui, par le conseil de Belle-Isle et sous les ordres du maréchal de Maillebois, avait été placé, l’année précédente, à l’entrée de la Westphalie, afin- de tenir en observation et en échec tous les mouvemens qu’auraient pu faire, soit les Hollandais en Flandre, soit les

  1. Fleury à Königseck, 13 août 1742. (Correspondance de Vienne. Ministère des affaires étrangères.) Cette lettre est également imprimée dans les Mémoires du duc de Luynes, t. IV, p. 330.
  2. D’Arneth, t. II, p. 490.