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de flèches, de cailloux, de balles de plomb, que font pleuvoir sur le vaisseau ennemi tous les engins de guerre connus : frondes, fustibales, onagres, balistes, scorpions. L’abordage n’en est pas moins, la plupart du temps, le seul moyen d’en finir. Le capitaine qui ne veut s’en fier qu’à son courage accroche hardiment sa liburne au vaisseau de son adversaire, jette un pont d’un navire à l’autre et passe avec son équipage à bord du bâtiment qu’il est décidé à réduire. On combat alors corps à corps, le bouclier au bras et l’épée au poing. La mêlée s’engage et se prolonge : des poutres ferrées des deux bouts, pendant du haut du mât, à la façon d’une longue antenne, sont mises en branle à l’aide de cordages fixés à l’une des extrémités. Ces béliers marins abattent et renversent tout ce qui se rencontre sur leur passage : hommes, murailles ou tours. Des faux au fer tranchant taillent en même temps, de droite et de gauche, le gréement ; des soldats intrépides vont, dans de petits canots, couper les saisines du gouvernail. Si l’on ne réussit point à forcer l’ennemi l’épée à la main, on veut tout au moins le mettre hors d’état de nuire en l’immobilisant. Les grandes liburnes ne sont pas faciles à enlever : elles ont de hauts pavois et des tours d’où leurs soldats peuvent dominer l’ennemi et lui tuer beaucoup de monde. Aussi, n’osant ni les joindre, ni les approcher, essaie-t-on souvent de les incendier de loin. Après avoir entouré d’étoupes le bois des flèches, on trempe ces traits, suivis d’une longue queue flottante, dans un mélange d’huile, de soufre et de bitume ; puis, à l’aide des balistes, on les lance tout en feu sur la liburne qui a défié l’éperon et l’abordage. Le fer s’enfonce profondément dans les planches enduites de poix, de résine ou de cire. Ce n’est pas miracle si l’étoupe enflammée y propage aisément l’incendie.

Voilà bien des engins en action ; nos combats modernes seront à peine plus compliqués. L’éperon continuera de jouer son rôle, cette fois avec une formidable puissance ; les feux de bordée, le lancement des torpilles automotrices remplaceront avantageusement le jeu des balistes et celui de la poutre ferrée ; les torpilleurs seront bien autrement à craindre que les petits bateaux qui allaient, pendant la mêlée, couper sournoisement les cordages dont la boucle servait de gonds au gouvernail. Quant à l’abordage, malgré tous les instrumens de destruction que la science a mis dans nos mains, je ne crois pas qu’il ait encore dit son dernier mot. Ce sera peut-être, pour le vaisseau frappé dans ses œuvres vives d’un coup clandestin, le suprême expédient et la dernière ressource.

Si peu redoutable, si peu exercée que fût la flotte romaine, cette réunion de liburnes, grandes et petites, était cependant pour l’époque une puissante flotte de guerre : l’équivalent de nos vaisseaux cuirassés. Elle n’empêcha pas les Goths, au temps de