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pays. C’est avec ces juges qu’il a en définitive à s’entendre sur la portée et l’interprétation de ses engagements. Dans la chambre elle-même, personne ne les lui rappelait ni ne paraissait seulement y penser. Les seuls politiques qui auraient pu lui rappeler son programme sont ceux qui ne se servent de ce mot de révision qu’avec l’arrière-pensée de tout bouleverser, de réunir une assemblée constituante, d’abolir le sénat, la présidence de la république, pour arriver à tout remplacer par une convention. Est-ce pour satisfaire, pour désarmer ou adoucir ces politiques d’une turbulente minorité que M. Jules Ferry à cru devoir parler d’une réforme constitutionnelle pour cette année ? Quant à l’opinion, telle qu’elle apparaît dans la masse du pays, elle s’intéresse évidemment encore moins que la chambre à la révision. Elle ne l’a pas demandée, elle n’y songe même pas, elle reste indifférente ou sceptique. On a essayé d’organiser une sorte de campagne révisionniste, et cette campagne, on en conviendra, n’a eu qu’un médiocre succès ; elle n’a certes pas réussi à remuer la masse nationale. Le pays a le vague instinct que les meilleures constitutions sont celles qui durent et dont on ne parle pas, que si ses affaires ne sont pas aujourd’hui dans le plus brillant état, la constitution n’est pas la principale coupable, qu’il n’y a pas, comme on dit vulgairement, de mauvais outils, qu’il n’y a que de mauvais ouvriers. Le pays ne s’échauffe pas pour ce qu’il a de la peine à comprendre, et ce n’est sûrement pas pour répondre à ses vœux, à ses sollicitations, que M. le président du conseil a cru devoir faire les déclarations par lesquelles il a couronné la session dernière.

Où donc était la nécessité de réveiller une question dont le premier effet est de préparer une année d’incertitudes et d’agitations, d’ouvrir une carrière indéfinie aux luttes des partis ? M. le président du conseil ne paraît pas sans doute l’entendre ainsi ; il est plein d’illusions et de confiance. Il n’y aura, il l’assure, qu’une révision bénigne, limitée, toute raisonnable, — ou il n’y aura pas de révision du tout. C’est bien facile à dire. M. le président du conseil ne s’est pas aperçu qu’il procédait avec une singulière légèreté, que sans y être obligé, il s’exposait à déchaîner un mouvement dont il pourrait an jour ou l’autre n’être plus le maître ; car enfin que ferait-il le jour où le mouvement une fois engagé dépasserait ses vues et ses calcula, où il se trouverait un congrès qui se laisserait entraîner, qui étendrait indéfiniment son programme ? Il ne pourrait évidemment plus rien ; il en serait pour se » espérances présomptueuses de révision limitée et modérée. De sorte qu’on retombe dans cette alternative de courir la chance d’une révolution complète dans les institutions ou d’avoir pendant des mois agité le pays pour rien, pour peu de chose.

Si encore cette révision que M. le président du conseil a imprudemment évoquée et qu’il croit pouvoir limiter était l’expression d’une idée nette, d’une politique précise et sérieusement coordonnée, on