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L’irritation très naturelle de Belle-Isle n’eut pourtant pas l’occasion de se donner carrière, car la faiblesse de Fleury resta sans effet. Tout le mois de juillet s’écoula sans que Königseck offrît de reprendre la conversation, et toutes les fois que, directement ou indirectement, on lui faisait proposer de Prague une nouvelle entrevue, il répondait que les pouvoirs dont il avait besoin n’étaient pas arrivés et que d’ailleurs il avait lieu de croire que des pourparlers directs étaient engagés entre les deux cours. En attendant, les troupes autrichiennes approchaient toujours, et se massant autour de la place, la resserraient de plus en plus et y rendaient les conditions d’existence de l’armée française plus difficiles.

De la part de Stainville aussi, même silence et aussi peu de nouvelles. Le chargé d’affaires, Vincent, écrivait seulement de Vienne que le courrier envoyé par cet agent, ayant dû. traverser sur le Haut-Danube les lignes de l’armée du duc d’Harcourt, faisait des récits lamentables de l’état de dénûment et de découragement où ces troupes étaient réduites avant même d’avoir combattu. Vainement Fleury, dont l’impatience croissait d’heure en heure, lâchant pied dans sa correspondance et probablement aussi dans sa conversation, faisait-il entendre qu’il ne ferait pas de l’évacuation de la Bavière une condition absolue ; en échange de cette condition qui indignait Belle-Isle, il n’obtenait pas même un accusé de réception qui le tirât de peine[1].

Ce qui rendait cette attente encore plus pénible, c’est qu’autour de lui et sur les divers, théâtres politiques d’Europe, des transactions diplomatiques suspectes, de toute nature, étaient engagées dans tous les sens. Les chancelleries étaient partout en éveil et à l’œuvre. Depuis qu’un coup de théâtre imprévu était venu remettre toutes les alliances en question, il n’y avait pas de combinaison nouvelle qui ne parût possible, et il n’y en avait aucune qui ne fût imaginée, proposée, et poursuivie quelque part. C’était d’un bout de l’Europe à l’autre un enchevêtrement, un feu croisé pour ainsi dire de négociations. Jamais il n’y eut un tel échange de courriers, un tel débit de nouvelles vraies ou fausses.

L’Angleterre d’abord reprenait avec une activité passionnée son plan favori, celui qui n’avait échoué au commencement de la guerre

  1. Belle-Isle à Amelot, 21, 26 juillet 1742. — Amelot à Belle-Isle, 14 juillet 1742. (Correspondance d’Allemagne.) —Vincent à Amelot, 6 juillet 1742. Correspondance de Vienne. Ministère des affaires étrangères.) — D’Arneth, t. III, p. 113, 114, 489. La lettre d’Amelot, indiquant qu’il ne ferait pas une condition absolue de l’évacuation de la Bavière, et la réponse de Belle-Isle à Amelot, furent interceptées par des agens autrichiens et communiquées indirectement à Charles VII pour le décider à se séparer de la France. — Blondel à Amelot, de Francfort, 16 avril 1745. (Correspondance d’Allemagne. Ministère des affaires étrangères.)