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les prit un moment au sérieux, il ne les prit jamais au tragique. Ces gens du Midi ont au cœur une allégresse intense, les vicissitudes ne sauraient les abattre et leur mélancolie a le sourire sur les lèvres. Il avait tout vendu, son hôtel, ses fermes et ses écuries, tout, jusqu’à sa villa des environs de Florence, lieu charmant et comme prédestiné. Jean-Paul raconte qu’il y a des sites qui semblent créés sur la terre pour qu’on n’y entende que des résonances mélodieuses et qu’on n’y serre que des mains amies ; autant vous en auriez pu dire de cette résidence des bords du Mugnano, placée à l’endroit où se réunissait jadis la société du Décaméron, et bien faite pour continuer la tradition de Boccace. Du reste, tous ces paysages de la Toscane, festonnés d’histoire et de pittoresque, ont de quoi servir à l’encadrement d’une vie d’artiste. Si les choses de ce monde s’arrangeaient dans leur logique, Mario aurait dû finir là ; sa bonne fée l’y avait amené, la mauvaise l’en exila, et le prince Charmant, métamorphosé en vieillard à barbe blanche, eut à décrocher la besace. La vie est un conte de fées, mais moins consolant, car ceux qu’elle a favorisés d’abord et disgraciés plus tard, elle n’a point pour ordinaire de les réintégrer dans leur premier état. La Belle changée en Bête y garde sa peau d’âne, et le brillant ténor, transformé en pauvre ermite, n’a plus qu’à s’accommoder de son scapulaire. « J’y suis, j’y reste. » C’est la moralité de la comédie humaine.

Celle des contes bleus est plus folâtre. Avec elle, ce triste avatar de Mario n’eût fait qu’un temps, et qui sait, un beau jour, peut-être, la sœur Anne du Théâtre-Italien de la place du Châtelet, l’apercevrait du haut de sa tour arrivant à la rescousse, par la forêt qui verdoie et le chemin qui poudroie : illusion et fantaisie, un chanteur inscrit son nom sur le sable, et, si fameux que soit ce nom, les vents du lendemain l’ont effacé. C’est un lieu-commun assurément que l’instabilité de la gloire du comédien : la gloire des maîtres a-t-elle donc plus de chances de durée ? Rubini, Lablache, Duprez, ni Mario ne sont plus là pour se défendre, mais les opéras qu’ils ont interprétés se défendent-ils davantage ? Un chanteur dure dix ans, un répertoire en dure quinze ou vingt. Quinze ou vingt ans de différence à l’avantage du créateur sur le virtuose, qu’est cela ? J’entendais naguère un jeune homme, parlant d’une aimable personne, point trop âgée cependant, la désigner ainsi : « C’est la dame qui a connu Rubini. » Attendez encore un quart de siècle, et prononcer les noms de Bellini et de Meyerbeer sera le geste d’un Iroquois. Soyons donc sans rancune contre ces ovations tapageuses, et n’envions rien de ces richesses insolentes et de ces grandeurs ; c’est si vite oublié !


HENRI BLAZE DE BURY.