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l’admiration du rebelle. Hélas ! elle n’y réussit que trop bien. A peine l’Africain eut-il tourné vers elle son regard de tigre, que ce regard s’adoucit, et, quand elle lui eut parlé avec l’accent de sa langue natale, le sujet même du débat s’effaça de sa mémoire : il aimait. Assis tranquillement sous ses fers, il écoutait les raisonnemens de Palmyre comme un naufragé pourrait écouter le son d’une cloche consolatrice. Il approuvait brièvement, la dévorait des yeux, approuvait de nouveau, prêtait l’oreille avec délices ; mais quand, à la fin, elle hasarda le mot abhorré, quand, d’une voix caressante, elle l’engagea au travail, il se dressa tout à coup, superbe, tel qu’une noire statue de l’Indignation. Palmyre en éprouva un sentiment de fierté-elle salua cette révolte de sa race, puis alla rendre compte de l’entretien au maître. — Bras-Coupé comprenait bien, dit-elle, qu’il était esclave, c’était la fortune de la guerre ; guerrier vaincu, il se soumettait ; mais, selon un principe généralement reconnu en Afrique, nul ne pouvait s’attendre à ce qu’il travaillât.

— Je le disais bien ! s’écria le géreur ; comment labourerait-on avec un zèbre ? — Alors il rappela un fait dont il avait été témoin. Certain Africain de la même trempe avait fini par devenir un excellent commandeur. Il savait faire travailler les autres.

Là-dessus, de nouveaux pourparlers, qui durèrent deux ou trois jours, eurent lieu avec le prince noir. Quelle fut la stupéfaction de don José d’apprendre que, finalement, il refusait l’emploi proposé !

— Attendez ! s’écria le géreur, remarquant quelque chose de suspect dans la physionomie de Palmyre, il n’a pas refusé, je gage. Avant de rien décider, qu’on me laisse conduire cet homme chez M. Agricola…

— Non ! non ! interrompit Palmyre, s’abandonnant, à toute son épouvante, messieurs, je dirai la vérité… Il accepte si vous me donnez à lui… O messieurs, vous ne le ferez pas… pour l’amour de Dieu ! .. Je ne serai jamais sa femme !

Le géreur regarda don José, prêt à être de son avis, quoi qu’il pût décider. L’audace de Bras-Coupé avait pris d’assaut le cœur de l’Espagnol.

— Je laisse cette affaire à la disposition d’AgricoIa Fusilier déclara-t-il.

— Mais il n’est pas mon maître, je ne dépends que de mademoiselle… Il n’a pas le droit…

— Silence !

Le consentement d’Agricola fut donné avec un empressement malicieux, et, quand tombèrent les chaînes de Bras-Coupé, on décida que, s’il se conduisait bien, un mariage d’esclaves aurait lieu chez les Grandissime en même temps que celui des maîtres,