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tempête, jamais la pluie, jamais l’hiver. Dans les épisodes mêmes les plus dramatiques, le maître ne se propose pas de vous émouvoir. La Fuite en Égypte est une agréable promenade à travers des contrées pittoresques, avec des anges pour protéger la marche ; sainte Ursule s’embarque pour le martyre comme pour une fête, et vous ne sauriez vous apitoyer beaucoup sur le sort d’Ismaël quand vous voyez courir de tous côtés, au milieu d’un frais paysage, les sources d’eau vive auxquelles il pourrait si facilement s’abreuver. Cet art est bienfaisant et il ne se propose que votre délectation. Au milieu des blasphèmes et des cris de protestation de tous les désenchantés, de tous les désespérés d’aujourd’hui, vous vous surprenez à écouter cette voix pure et ingénue qui vous parle d’harmonie, de paix et de lumière ; qui trouve que la vie est bonne, que la nature est une amie et qui exhale au soleil un hymne de reconnaissance et d’amour.

Avec Poussin et Claude, l’Italie avait trouvé des maîtres dignes de la comprendre et d’exprimer sa beauté. Lorsque, à son tour, Salvator Rosa, de son pinceau rude et fougueux, en eut montré les aspects les plus abrupts, la nature italienne ne devait plus, de longtemps, fournir des représentations bien neuves à ses interprètes. Malgré ses qualités de peintre et son excessive facilité, Gaspard Dughet, le beau-frère de Poussin, ne manifeste pas un sens très personnel dans ses paysages. A des degrés divers, on peut y démêler l’influence combinée des trois artistes que nous venons de citer, et cette fusion de leurs manières, aussi bien que les préoccupations purement décoratives qui dominent dans la plupart de ses œuvres, allaient contribuer à la formation de ce genre conventionnel qui, sous le nom de « paysage historique, » nous a valu tant de médiocres et insignifiantes compositions, dont ni Claude, ni Poussin ne sauraient être rendus responsables. Après le Guaspre, des peintres formés exclusivement à l’étude de leurs devanciers, comme Jean Glauber, qui peignait l’Italie bien avant de la visiter, et François Millet, qui la peignit sans jamais la voir, puis des copistes de ces copistes, tels que les Patel, Allegrain, etc., par leurs productions aussi dépourvues de style que de naturel, provoquèrent à la fin une réaction légitime contre un genre qu’ils avaient ainsi eux-mêmes peu à peu discrédité.

Il faut ensuite aller jusqu’à Joseph Vernet pour retrouver, avec une pratique plus sommaire et des visées moins élevées, quelque chose des aspirations du Lorrain. C’est encore l’influence de notre peintre qu’on peut reconnaître chez un contemporain de Vernet, Wilson, qui, malgré sa mollesse et sa lourdeur, doit être considéré comme le promoteur de l’école anglaise de paysage. Presque de nos jours, un autre Anglais, Turner, a dû aussi beaucoup à Claude, et