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marquent les différens degrés de l’éloignement la men apparaît étincelante sous un ciel radieux. Du zénith jusqu’à la base du ciel, depuis la grève où le flot vient expirer jusqu’à l’horizon, de part et d’autre, en même temps que les colorations vont de la force à l’extrême légèreté, les formes passent du fini minutieux du premier plan jusqu’au vague effacement des lointains.

Pour savoir ainsi, dans des colorations moyennes et sans contrastes forcés, parcourir cette gamme restreinte ; y moduler avec tant de finesse toutes ces suaves harmonies, il faut le merveilleux pinceau du Lorrain. Aussi, malgré de nombreuses tentatives, la gravure est-elle restée impuissante à rendre l’impression de ses paysages. Tandis que les ouvrages de Poussin perdent peu ou gagnent même quelquefois aux traductions que nous en ont laissées Audran, Baudet, Stella et surtout Pesne, il n’est pas de burin assez souple pour nous donner une idée suffisante de ceux de Claude. Et cependant, chez lui pas de mystère, rien qui reste obscur ou indécis, rien, qui ne soit écrit et formellement réalisé. Dans la claire transparence des ombres tous les détails nous apparaissent lisibles. Alors que, vers cette époque, Rembrandt enveloppait de voiles la lumière et n’en laissait filtrer que quelques rayons furtifs à travers les ténèbres, c’est la lumière seule et son éclat triomphant qui chez Claude envahit l’espace et le remplit de ses vibrations radieuses.

D’autres paysagistes chercheront dans la nature un écho des agitations humaines, et, par ses frémissemens et ses colères, s’appliqueront à nous rappeler nos tristesses et nos misères : Claude nous invite à sortir de nous-mêmes. Les perspectives infinies qu’il ouvre à nos regards sont toutes riantes. Ces campagnes heureuses nous parlent de fécondité. Ici des eaux dormantes reflètent la sérénité du ciel, tandis qu’ailleurs elles s’écoulent en aimables détours et Répandent joyeusement. Jamais vous ne trouverez sur leur bord un de ces arbres tels que Ruysdaël les a peints, cramponnés au sol, rugueux, tordus convulsivement, courbés et mutilés par le vent. Les arbres de Claude n’ont pas connu la lutte ; ils élèvent, majestueux et respectés, leurs cimes élégantes dans une atmosphère toujours tranquille. La mer non plus n’a pas de menaces ; avec un rythme harmonieux, elle rend au rivage les caresses ; qu’elle reçoit de la brise. Impunément les palais peuvent se presser sur ses bords ; la vague paresseuse expire au pied de leurs grands escaliers. Dans le ciel que remplit la tranquille splendeur de l’aube ou je recueillement solennel du couchants, ça et là quelques légers nuages déroulent autour du soleil leur gracieuse escorte : Partout la gaîté est répandue dans cette nature clémente, et l’homme, en jouissant de sa beauté, ne trouve dans l’immensité de l’espace qui s’ouvre devant lui que des aspects aimables et rassurons. Presque jamais Claude n’a peint la