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excellait à relier ainsi les divers élémens qu’il faisait entrer dans une composition et aies fondre dans un ensemble harmonieux. Sa poétique, à cet effet, n’était pas bien subtile ; l’instinct y avait sans doute plus de part que le raisonnement, mais s’il se sentait impuissant à formuler une théorie, le pinceau en main, il savait excellemment exprimer sa pensée dans son art. Développées et mûries par le travail, ses qualités originales s’y manifestaient dans tout leur éclat. Peu à peu son talent avait acquis une sûreté remarquable, et, à voir la facilité apparente de ses œuvres, on ne pourrait guère se douter des efforts qu’elles lui ont coûtés.

Dans les combinaisons très variées auxquelles Claude a eu recours, l’aspect de la composition s’accuse toujours avec une grande franchise, sans monotonie, sans étrangeté. Ce mélange de régularité voulue et de contrastes habilement ménagés lui semble dicté par un sentiment d’élégance qu’on ne s’attend guère à rencontrer chez cet homme sans culture. Les lignes s’appellent et se répondent, se mêlent ou s’opposent, nettes ou flottantes, avec de subites décisions ou des ondoiemens pleins d’une grâce exquise. Sans doute, on pourrait souhaiter dans ses arbres un dessin plus intimement suivi qui en accuserait les particularités significatives et leur donnerait une physionomie propre et un port individuel. Mais s’ils ne sont que médiocrement spécifiés quant à l’essence, du moins Claude s’attache-t-il à exprimer avec délicatesse l’épaisseur profonde de leurs frondaisons. Pénétrables et mobiles, les masses de feuillages semblent doucement balancées dans l’air. Entre leurs molles découpures brillent les clartés du ciel et des horizons « ensoleillés vers lesquelles l’œil est comme invité à se reporter. Tout l’y ramène : la succession des plans qui s’enfuient, les montagnes dont les cimes vont s’inclinant peu à peu, et « ces ondulations de cours d’eau, cherchant leur chemin à travers un terrain accidenté qui, ainsi que le remarque Mme Pattison, ont toujours eu un attrait particulier pour le peintre. »

La prédilection de Claude pour l’étendue et la lumière explique la place importante que dans ses paysages il réserve ; au ciel et à la mer. C’est là ce qui l’attirait le plus dans la nature et les amateurs de son temps avaient bien compris que c’était aussi là pour lui la meilleure occasion de montrer tout son talent. Aussi, quand on lui commandait deux tableaux destinés à se faire pendans, presque toujours l’un d’eux était un de ces Port de mer dont, avec des modifications plus ou moins grandes, il existe de si nombreuses répétitions. On est étonné de la perfection constante avec laquelle le peintre a traité cette donnée, de la variété qu’il a su y mettre, sans se lasser jamais. Il n’est guère de collection publique en Europe qui ne possède quelqu’une de ces vastes perspectives où entre des palais, des arbres, des montagnes et des embarcations qui y