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de nombreuses affinités d’allures et de race, elles autorisent ces comparaisons qu’on s’est plu à établir entre lui et les grands écrivains de son pays et de son temps, il faut bien confesser cependant, ainsi que Delacroix le disait ici-même[1], que peut-être « il a donné à l’idée un peu plus que ne demande la peinture. »

Tout en proclamant avec de Piles que « le style héroïque » inauguré dans le paysage « est une agréable illusion et une espèce d’enchantement quand il part d’un beau génie et d’un bon esprit comme était celui du Poussin, » on peut donc aussi, puisqu’il s’agit de représentations de la nature, rester plus sensible à celles où, suivant une autre remarque du même critique, « sont heureusement joints ensemble ce style héroïque » et cet autre style, moins noble assurément, mais plus rapproché de la nature, où « elle s’y fait voir toute simple, sans fard et sans artifice, mais avec tous les ornemens dont elle sait mieux se parer lorsqu’on la laisse dans sa liberté que quand l’art lui fait violence[2]. »

A quoi bon choisir d’ailleurs ? et pourquoi ne pas goûter aussi bien ces satisfactions d’esprit que Poussin nous réserve et ce mélange heureux de styles dont Claude nous offre un si séduisant exemple ? Chez lui, la part de la nature est restée plus grande, et les impressions qu’il en a reçues ont été plus naïvement ressenties. C’est elle qui avait décidé de sa vocation précoce, et c’est elle surtout qui fait le charme de ses ouvrages. La voie qu’elle lui avait tracée, il l’avait suivie sans hésitation. On ne trouve pas, en effet, dans le développement de son talent ces inquiétudes, ces arrêts ou ces différences de manières qu’on rencontre chez des natures plus raffinées. L’unité qu’on remarque dans la vie de Claude, on la remarque aussi dans son talent. De même qu’il lui avait coûté de longs et opiniâtres efforts, de même que sa maturité avait été tardive, ainsi chacune de ses œuvres était lentement menée, et la perfection n’y était acquise qu’à force de travail et de conscience. D’autres montrent un génie plus fougueux, plus puissant ; lui n’a pas de ces grands coups, ni de ces surprises ; mais, sans rien livrer au hasard, sans se presser, il arrive au but. Il n’épargne pour cela ni son temps, ni sa peine, et, quand il abandonne un de ses ouvrages, il y a mis tout le soin dont il est capable. Le bon Sandrart, qui se contentait à meilleur compte, s’étonne de lui voir passer quinze jours encore sur un tableau qui lui avait semblé terminé, sans qu’il puisse apprécier ce que ce travail y a ajouté. Mais Claude l’avait jugé nécessaire, et ce travail prolongé, au lieu d’amoindrir l’œuvre, lui a donné tout son prix. Ces mille nuances, ces rapports délicats,

  1. Voyez la Revue du 15 juin 1857, des Variations du beau.
  2. De Plies, Cours de peinture par principes. Paris ; Estienne, 1708, p. 202.