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aspect agréable, la façon heureuse d’encadrer les lointains ou de rompre à propos une masse d’arbres un peu compacte par quelques arbres légers qui s’en détachent, ce sont là autant de progrès réalisés par Brill, mais qu’une certaine lourdeur de coloris et une exécution trop souvent sèche et dure empêchent d’apprécier comme il faudrait. Après Elsheimer qui, en profitant de ces progrès ; avait su y ajouter le fini des détails et un dessin plus serré, plus précis, il appartenait à Claude de donner au genre nouveau son complet développement. Sous ce rapport, il a certainement devancé Poussin, qui ne devait que tardivement s’appliquer au paysage.

Sans doute, même dans les œuvres de sa jeunesse ; on peut déjà relever chez celui-ci la préoccupation d’ajouter à l’intérêt de ses compositions par le rôle qu’il y fait jouer à la nature. Titien, pour lequel il professait une grande admiration, lui offrait d’ailleurs à cet égard des exemples qu’il avait étudiés ; mais ce n’est guère que vers la fin de sa vie que le peintre des Andelys se proposa de faire du paysage l’objet principal de quelques-uns de ses tableaux. Encore est-il permis de dire que, dans ceux mêmes où, par leur rareté et leur dimensions, les figures ne semblent qu’un accessoire, ce sont encore elles cependant qui forment la pensée dominante de l’artiste, qui lui fournissent le cadre et qui dictent le sens de ses compositions. Le paysage leur reste subordonné. Dans ces campagnes disposées pour servir de promenades aux sages ou de décor à la vie des héros, rien ne saurait amollir leur âme, ni solliciter trop vivement leur attention ; ils y peuvent, sans distraction, donner libre cours à leurs entretiens et se sentir soutenus dans leurs mâles résolutions. Vue ainsi au travers des poètes ou des historiens, la nature chez Poussin revêt un caractère épique et souvent même un peu abstrait. Cet art a une élévation et une1 noblesse auxquelles Claude n’a pas prétendu et qu’il n’a pas atteintes ; Il n’est que juste d’y louer une facture ferme, posée, égale qui, sans raffinemens, sans subtilités, affirme nettement ce qu’elle veut exprimer. Avec une sincérité constante, on y trouve je ne sais quel air de grandeur et d’austérité qui commande le respect. À ces solides qualités Poussin en joint une qui les contient et les dépasse toutes, la science accomplie de la composition. Portée à ce degré, elle justifie le rang qu’il occupe dans l’art, elle constitue sa vraie excellence et son originalité. Mais cette qualité elle-même, comme toutes celles que nous venons de constater chez lui, quelle que soit leur valeur, contentent encore plus la raison qu’elles ne séduisent le regard. Elles trahissent un certain effort ; elles ont un côté philosophique et littéraire qui s’adresse à l’esprit, mais qui ne les recommande pas spécialement à notre admiration dans les œuvres de la peinture. Si, à tant de titres, elles font de Poussin un génie éminemment français ; si, par