Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/40

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

faiblesse qu’il lui aurait trop coûté de subir), ce refus sera si injuste qu’il ne me serait pas possible de passer par-dessus, si je n’en ai un ordre précis et absolu[1]. » L’entrevue se termina ainsi, sans qu’aucun jour fût fixé pour une nouvelle rencontre, Königseck ayant répété qu’il devait faire rapport de tout au prince, qui ne pouvait manquer lui-même d’en écrire à Vienne.

Belle-Isle n’avait pas tort de penser qu’il ne rencontrerait chez Fleury, ni sur le point qui lui tenait au cœur, ni sur aucun autre, une résolution égale à la sienne. Sa lettre trouva le cardinal livré au plus profond abattement. Le désir d’en finir avec cette guerre malheureuse croissait chez lui avec l’affaissement de plus en plus sensible de ses forces physiques. La paix n’était plus seulement à ses yeux la seule ressource d’une politique découragée ; c’était pour lui-même l’unique moyen d’obtenir un peu de repos et de prolonger de quelques jours son existence. C’était ce dernier espoir, non pas même de salut, mais de répit, auquel un mourant s’attache avec une fiévreuse angoisse. Dans cette disposition, la lecture du récit de Belle-Isle, les termes de politesse bienveillante dont Königseck s’était servi à son égard, et qui contrastaient avec la froideur témoignée au maréchal lui-même, lui firent croire qu’en intervenant de sa personne, il se ferait peut-être mieux écouter encore que son représentant.

Il manda auprès de lui l’agent que le grand-duc, en qualité de souverain de la Toscane, gardait encore à Versailles, le marquis de Stainville. Et, comme pour entrer en matière avec cet envoyé, il se plaignait que les réponses évasives de Königseck laissaient peu d’espoir de conciliation : « Ne voyez-vous pas, lui dit Stainville (flatté sans doute de prendre la négociation à son compte) que vous aviez choisi un mauvais ambassadeur ? La reine ne sait-elle pas que M. de Belle-Isle est l’inspirateur de la guerre qu’on lui a déclarée, et l’auteur véritable de tout le mal qu’on lui a fait ? Un tel choix était-il fait pour lui plaire ? » — Frappé de cette pensée, qui répondait déjà à la sienne, Fleury offrit au ministre toscan la commission, que celui-ci accepta volontiers, de transmettre directement à Vienne des offres pareilles à celles dont Belle-Isle s’était chargé ; et, pour être plus sûr que les propositions de paix ne sortiraient pas de cette voie confidentielle, Stainville dut faire savoir à la reine que, si elle voulait bien ne pas communiquer les bases de la négociation

  1. Belle-Isle à Amelot. Prague, 4 juillet 1742. (Correspondance. d’Allemagne. Ministère des affaires étrangères.) — Chambrier à Frédéric, 27 juillet 1742. (Correspondance interceptée. Ministère des affaires étrangères.) C’est Chambrier qui mentionne l’extrême froideur de Königseck pour Belle-Isle et son refus de lui tendre la main.