Page:Revue des Deux Mondes - 1884 - tome 61.djvu/394

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

fois de plus la vallée de la Moselle et ses aimables aspects. C’est une inspiration très franchement italienne, au contraire, que nous trouvons dans ce Polyphème, dont les personnages, nous l’avons dit, ont été repeints par Bon Boulogne. A demi couché au sommet d’une colline qui surplombe la mer, le cyclope joue de la flûte en gardant ses troupeaux qui paissent autour de lui, tandis que, dérobés à ses regards par une tente sous laquelle ils sont abrités, Acis et Galatée se livrent à d’amoureux ébats. Plus loin, des montagnes escarpées dont les profils rappellent ceux de Capri, étagent leurs cimes dans l’azur du ciel. La mer, d’un azur plus vif, mais douce encore et limpide, occupe toute la partie moyenne du tableau et en forme la coloration dominante. Dans l’ombre transparente où sont noyées les côtes voisines, on découvre une riche végétation dont la fraîcheur est entretenue par les eaux qui jaillissent de tous côtés. Partout des images récréantes et un aimable assemblage de formes gracieuses et de suaves couleurs font de ce paysage une des plus poétiques compositions de Claude. Sa facture, d’une perfection irréprochable, atteste la pleine maturité du maître et semble confirmer la date de 1650 qu’on croit pouvoir y lire.

Le musée de Cassel n’était pas autrefois moins bien partagé que celui de Dresde en œuvres du Lorrain. De la collection de la Malmaison qui s’était formée de ses dépouilles, elles ont passé dans la galerie de l’Ermitage, où elles sont aujourd’hui. Il n’y en a pas moins de douze. Le Matin, l’une des plus célèbres, nous montre une disposition assez rare chez Claude, qui, d’ordinaire, réserve au ciel et aux lointains une large place. Une végétation magnifique remplit presque toute la toile, laissant à peine entrevoir, ça et là, quelque percée. A demi cachées par ces grands arbres, des ruines pittoresques semblent perdues dans ce pays solitaire et complètent l’impression de silence et de mystérieux abandon de ce joli coin. Dans la Madeleine en prières du musée du Prado, la donnée est toute différente et la lumière s’étale au centre en une large trouée dont la tonalité puissante des arbres qui l’encadrent rehausse encore l’éclat. Les fonds où apparaissent confusément des bois, des cours d’eau, des montagnes, sont comme noyés dans les vapeurs matinales que le soleil qui monte dans le ciel va bientôt dissiper.

Avec la petite marine faite pour M. de Béthune, le Débarquement de Cléopâtre, peint probablement vers 1647 pour le cardinal Giorio, est le meilleur des seize ouvrages de Claude que nous possédions au Louvre. A part quelques taches provenant d’anciennes restaurations dans le haut du ciel, la conservation en est excellente. La limpidité de ce ciel qui d’un bleu pâle se dégrade, insensiblement jusqu’à un jaune neutre, les nuages légers qui flottent capricieusement dans l’air et tamisent la lumière, la mer surtout, cette mer d’une