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souhaiterait et l’on serait presque tenté d’excuser ce comte de Noce, qui, devenu propriétaire d’une des œuvres les plus charmantes de Claude, le Polyphème, qui appartient aujourd’hui au musée de Dresde, en fit repeindre les personnages par Bon Boulogne[1].


IV

Avec le temps, la renommée du Lorrain s’était accrue. Les commandes affluaient maintenant et, malgré son assiduité et son ardeur au travail, il pouvait à peine y suffire. Un peintre de quelque talent ne manquait pas alors d’occupation à Rome ; il y trouvait, mieux que dans aucune autre ville, bien des occasions de vendre ses ouvrages, car la capitale du monde chrétien était devenue le rendez-vous de l’élite de la société européenne. Quiconque avait le goût des lettres et des arts s’y sentait attiré, et les princes, les financiers, les simples curieux qui essayaient de se former une collection ne manquaient guère de joindre aux œuvres anciennes qu’ils pouvaient acquérir quelques ouvrages des contemporains alors le plus en vue. Sur la liste des patrons de Claude, nous trouvons des souverains, comme le roi d’Espagne ou l’électeur de Bavière, et des personnages de nationalités et de conditions très diverses, des Anglais, des Allemands, des Flamands, et, parmi les Français, des ambassadeurs comme le duc de Béthune, le duc de Créquy et M. de Fontenay, leur successeur, des grands seigneurs, comme le duc de Bouillon et le duc de Liancourt, et un maître des comptes, M. Passart, qui était aussi grand admirateur de Poussin. A côté de ces étrangers, chez les Romains, nous remarquons le prince Panfili, qui commandait à l’artiste quatre paysages très importans, et un grand nombre de dignitaires de l’église, dont quelques-uns devaient devenir papes, les cardinaux Barberini, Rospigliosi, Giorio, Poli, Médicis, Bentivoglio, et d’autres encore dont,, au travers de l’orthographe fantaisiste de Claude, Mme Pattison a su découvrir les noms et sur lesquels elle nous communique d’intéressans détails.

Quant aux données des compositions exécutées pour ces divers amateurs, on peut, en parcourant le Livre de vérité, constater que c’étaient les sujets en vogue à cette époque, les uns tirés de la Bible ou de l’Évangile : des traits de la vie d’Agar ou de Joseph, de Moïse ou de Tobie ; la Fuite en Égypte, Madeleine dans le désert, et jusqu’à une Tentation de saint Antoine, avec son cortège habituel de démons ; d’autres inspirés par la mythologie ou l’histoire : les aventures des

  1. En repeignant, à la place même où elles étaient les figures primitives de Claude, Boulogne se contenta d’y ajouter le petit Amour qui, assis à droite des deux amans, retient deux colombes attachées par un fil.