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seraient appelés à concourir. Pour appuyer ce plan, qui était aussi équitable que digne, il crut devoir passer en revue toutes les forces qui restaient encore à la France et qui devaient rendre un accord avec elle désirable, et la reprise des hostilités à craindre pour ses adversaires.

« Je lui ai dit que nous avions des vivres pour plus de six mois, et que si, maîtres de la campagne comme ils allaient l’être par leur nombreuse cavalerie, ils nous causaient bien de l’incommodité, il conviendrait aussi que trente mille hommes, maîtres de la ville capitale, leur feraient bien de l’embarras ; que la multitude qu’ils rassemblaient autour ruinait encore plus la Bohême que nous ; qu’il savait bien que toute leur infanterie réunie n’était pas capable de nous forcer dans cette place, et que c’était bien heureux pour la reine, bien plus commode pour ses généraux, bien plus utile pour les peuples que nous voulussions bien nous en aller, parce qu’indépendamment de tous ces motifs, les mêmes vicissitudes que la reine venait d’éprouver en sa faveur, par la défection du roi de Prusse, pourraient nous devenir favorables ; que nous avions une armée considérable sur le Danube, qui, jointe aux troupes impériales, était très supérieure à celle de M. de Khevenhüller ; qu’une victoire en Bavière pouvait avoir les mêmes effets que l’affaire de Denain ; qu’on n’ignorait pas la puissance du roi et les ressources de la France ; que l’empire ne souffrirait pas de voir son chef poussé trop loin ; que le roi de Prusse lui-même pourrait encore changer ; qu’enfin il était trop sage pour ne pas sentir que le temps le plus favorable pour faire la paix était celui où se trouvait présentement sa maîtresse. M. de Königseck n’en est pas disconvenu : je dois même, à cette occasion, dire qu’il m’a toujours parlé avec une convenance et une sagesse infinies. Il ne lui est échappé aucun reproche, ni même aucun terme désobligeant, mais il ne s’est engagé à rien et a tout remis au compte qu’il rendrait au grand-duc. »

Le point sur lequel il fut impossible de tirer une parole de Königseck, ce fut celui-là même qui, aux yeux de Belle-Isle, pouvait seul ôter à la proposition dont il était porteur le caractère d’une capitulation humiliante : à savoir l’évacuation d’un pas égal (c’est son expression) de la Bavière et de la Bohême. « J’ai bien remarqué, disait-il, en terminant, qu’il a coulé légèrement sur cette partie… Je n’ai pas cru devoir l’approfondir, jusqu’à ce que je voie s’ils entreront tout de bon en matière, car, outre qu’il sera temps alors de discuter ce point, qui me paraît tout à fait convenable et nécessaire, j’espère toujours recevoir de vous de nouveaux ordres et des instructions précises sur la conduite que j’aurai à tenir… Si cette condition m’est refusée, ajoutait-il (comme pour prévenir quelque