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III

Claude, nous l’avons dit, avant ses premières eaux-fortes datées de 1630, avait certainement dû peindre un grand nombre de tableaux, mais on n’en connaît pas de lui qui portent une date antérieure à 1639. Le Louvre possède deux paysages de cette année : la Fête villageoise et le pendant : un Port de mer au soleil couchant (numéros 221 et 222 du catalogue) peints tous deux pour le pape Urbain VIII. Dans la Fête villageoise on retrouve comme un lointain souvenir de cette gracieuse vallée de Chamagne où la Moselle s’attarde en paresseux détours. Ni la végétation, ni les collines basses qui bornent l’horizon, ni même les fabriques n’ont un caractère bien franchement italien. Au centre, un groupe de beaux arbres, pénétrés de lumière et peints avec amour, s’enlève vigoureusement sur le ciel clair et sur des fonds noyés dans une atmosphère dorée. Les personnages, indiqués d’une touche un peu lourde, forment des groupes bien répartis, et cette pastorale naïve, — cose pastorali, comme disait Claude, — est en parfait accord avec la gaîté d’une si splendide journée. Ces jeunes seigneurs qui, au retour de la chasse, survenant parmi des villageois, les surprennent dans leurs amusemens champêtres, forment un heureux épisode qui s’accorde harmonieusement avec cette nature en fête. L’un de ces brillans cavaliers a mis pied à terre pour se mêler au quadrille. La tête découverte, prenant la main de sa danseuse, il semble, — comme don Juan à Zerline, — conter fleurette à la jeune fille, qui paraît à la fois flattée et confuse de cet honneur. Ces personnages, quoique le catalogue du Louvre, et, d’après lui, Mme Pattison, les attribue à Jean Miel, nous croyons pouvoir affirmer qu’ils sont de Claude lui-même, non-seulement parce qu’ils font admirablement corps avec le paysage et que leur exécution, à la fois rude et indécise, est bien, dans sa maladresse pénible, celle d’un peintre qui s’essaie à dissimuler son inexpérience par son application, mais parce que le Lorrain lui-même a reproduit quelques-uns d’entre eux dans ses eaux-fortes ou ses dessins[1]. Le Port de mer, est une des données qu’avec de légères modifications Claude a le

  1. Le groupe des chasseurs, à gauche, est étudié à part dans un dessin du Livre de vérité (n° 37), et la petite fille qui, relevant gauchement ses jupes, s’efforce de danser de son mieux, ainsi que le paysan couvert d’une peau de bique qui s’avance les bras en l’air se retrouvent dans deux eaux-fortes de Claude. D’autres détails encore sont bien de lui : les indications incertaines des mains, les types invraisemblables des bœufs avec leurs yeux énormes et leurs mufles ronds. Il suffit d’avoir observé un tableau de Jean Miel, l’aisance un peu banale, mais très réelle, de sa touche dans les personnages et les animaux, pour ne pas songer un seul instant à lui imputer les figures de la Fête villageoise.