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il avait senti son âme s’ouvrir à la grâce de ces spectacles et en avait vaguement compris la beauté.

Les enseignemens que Claude avait pu trouver près de son aîné furent certainement bien modestes. Celui-ci se bornait, en effet, à exécuter quelques dessins de feuillages ou d’arabesques destinés probablement à la broderie, qui déjà, à cette époque, formait un des principaux produits de cette partie de la Lorraine où les deux frères étaient nés. Mais les progrès de l’enfant avaient été sans doute assez rapides pour inspirer quelque confiance à ceux qui l’entouraient, et décider de sa carrière. Toujours est-il qu’un an après, un de ses parens, qui se livrait au commerce des dentelles, passant par Fribourg pour se rendre à Rome, où l’appelaient ses affaires, offrit de l’emmener avec lui, afin qu’il pût y trouver les ressources nécessaires à son instruction artistique.

Le moment et le lieu étaient bien choisis. Outre les chefs-d’œuvre de l’antiquité et de la renaissance qui, depuis longtemps, en recommandaient le séjour aux gens de goût, Rome présentait alors pour un jeune peintre aussi épris de la nature que l’était Claude un attrait particulier. Le paysage, que bientôt il allait illustrer, y était désormais cultivé comme un genre nouveau, et comptait déjà de nombreux adeptes. Après les maîtres de l’école vénitienne, qui lui avaient donné dans leurs œuvres une si large place et une si éloquente signification, les Bolonais, s’inspirant de leurs exemples, avaient essayé de les dépasser dans cette voie, mais sans arriver toutefois à mettre dans la seule représentation de la nature un intérêt qui suffit à leurs tentatives. On ne saurait, en effet, trouver un bien grand charme à ces ouvrages un peu trop vantés, dans lesquels Annibal Carrache ou le Dominiquin, avec une habileté d’exécution d’ailleurs très réelle, ne nous offrent que l’image d’une nature factice, toute d’apparat, privée de ces traits intimes et caractéristiques qu’une étude plus pénétrante découvrait bientôt à leurs successeurs. On sent dans ces conventions purement académiques le parti-pris de restaurer un art épuisé, bien plus encore que cet amour et cette sincérité qui président aux créations vraiment inspirées et destinées à vivre. L’honneur d’assurer au paysage une existence indépendante était réservé à des étrangers. Deux Flamands, les frères Brill, reprenant les traditions des Van Eyck, — continuées après eux dans l’école par Henri de Blés et Patenier, — allaient lui tracer sa véritable voie. Mathieu, l’aîné, dans sa trop courte vie, n’avait guère fait qu’indiquer la direction. Mais son frère Paul, que de bonne heure il avait attiré près de lui, devait nettement marquer le sens du paysage moderne. Ses compositions, dans lesquelles des préoccupations de style se mêlent assez heureusement à la nature sont, il est vrai, souvent déparées