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Mais la charge et le danger d’une dette exigible dépendent du rapport entre le chiffre de cette dette et celui du produit net des revenus publics ; car c’est ce produit net qui, après avoir pourvu aux dépenses nécessaires du gouvernement, fournit à l’état les moyens de se libérer, ou, si la dette exigible est convertie en rentes, les moyens de payer les arrérages de la nouvelle dette consolidée. On ne peut prendre pour l’un des termes de ce rapport le revenu net des dernières années de la guerre, parce que les événemens l’avaient accidentellement et exceptionnellement amoindri. Il avait été de 89 millions en 1683, la dernière année du ministère de Colbert : le duc de Noailles, dans son rapport du 2 juin 1717 sur la situation des finances, constate qu’il fut de 69 millions en 1715, et prévoit qu’il s’élèvera à 86 en 1717 ; en le portant à 90 millions, on évalue à un chiffre élevé les forces contributives de la France à cette époque. La dette exigible à la mort du roi était donc égale à treize fois le produit net des revenus publics. Nous avons aujourd’hui plus de 3 milliards de revenu brut ; si, pour le ramener à ce qu’était le revenu net de 1715, on en déduit les arrérages de la dette publique, les frais de régie des contributions, etc., il reste encore plus de 1,500 millions. Une dette exigible, une dette flottante égale à treize fois ce revenu dépasserait 19 milliards. C’est là une hypothèse invraisemblable, inadmissible ! Cependant, toutes proportions gardées, elle était réalisée en 1715. La banqueroute, « la hideuse banqueroute » était menaçante quand Louis XIV mourut le 1er septembre.

« La crise, dit Forbonnais, était plus violente que jamais, il ne se trouvait plus un seul motif qui pût engager les propriétaires de l’argent à s’en dessaisir ou à le faire passer dans le commerce. Les denrées étaient chères, parce qu’il y avait un risque infini à les donner à crédit : comme, d’un autre côté, on manquait d’argent pour les payer, la consommation et, par conséquent, le travail étaient anéantis. L’état, qui, depuis plusieurs années, ne subsistait que sur le crédit, restait sans chaleur et sans vie : les principaux revenus étant engagés à perpétuité : l’excédent sur les charges ne suffisait pas au maintien du gouvernement et cet excédent était consommé d’avance pour plusieurs années. La famine, les inondations, la mortalité des bestiaux avaient désolé les peuples, affligés par une guerre et des détresses de vingt-deux ans. Une partie des maisons manquaient des réparations nécessaires, les terres étaient abandonnées. La paix, faite depuis deux ans, n’avait point encore fait goûter ses douceurs. »

Cependant, au milieu de ces ruines et de ces misères, les bénéfices que procuraient les affaires extraordinaires avaient élevé rapidement d’immenses fortunes, et celles-ci s’étaient empressées de déployer